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nationalité ; car, si jamais pays semblait voué à une division éternelle, c’était assurément la Gaule. Personne n’ignore qu’avant la conquête romaine cette contrée était habitée par des peuples d’origine diverse, étrangers les uns aux autres par leurs mœurs comme par leurs langues et leurs lois[1]. En portant ses colonies et ses habitudes élégantes au milieu des barbares qui lui avaient héroïquement résisté, Rome sut se venger de ces résistances mêmes et en prévenir le retour. Les Gaules fléchirent sous l’Italie, les vieilles mœurs sous les nouvelles, et, selon leur admirable politique, les vainqueurs se mêlèrent aux vaincus en élevant ceux-ci jusqu’à eux. Arles, Nîmes, Narbonne, devinrent de riches cités romaines, et, pendant que les chefs des Aquitains et des Celtes entraient au sénat et formaient la garde des empereurs, les colons de la Ligurie et les vétérans du Latium cultivaient les vineuses campagnes de la Bourgogne. Depuis la cité grecque de Marseille jusqu’aux remparts de Lutèce, la ville chérie de Julien, tout porta l’empreinte du génie étranger, et les races étaient confondues comme les mœurs et les idiomes, au moment marqué par la Providence pour renouveler la face du monde.

Dans ces jours d’expiation, une nuée de barbares s’abattit ces quatre vents du ciel sur ce sol, devenu le rendez-vous de peuples inconnus. Pendant que les Visigoths formaient au midi un vaste royaume, les Burgondes s’établissaient à l’est, du Rhône au Jura ; les Francs, attirés vers une contrée qu’ils embrassèrent long-temps du regard avant d’y fixer leurs tentes, faisant enfin succéder de durables établissemens à des incursions stériles, s’établissaient au-delà de la Meuse ; puis, ressuscitant ce fantôme de l’unité romaine qu’un souffle de leurs fortes poitrines avait fait disparaître, et se parant de cette pourpre impériale qu’ils avaient mise en lambeaux, leurs chefs se mirent en demeure d’appliquer à de plus vastes territoires le droit étrange de succession dont ils s’étaient fait un titre. Celtes aborigènes dans toutes les provinces, Celtes renforcés par de nombreuses émigrations bretonnes en Armorique, sang norvégien mêlé au sang indigène en Neustrie ; à l’est, Romains, Gallo-Romains et Burgondes ; Visigoths au midi ; au nord, des Francs et des Germains de souches diverses et le plus souvent ennemies : tels étaient, aux premiers siècles de la monarchie qui succédait à la puissance impériale, les élémens divers épars dans cette contrée, destinée à s’appeler bientôt la France.

Entre les agglomérations de peuplades conquérantes et voyageuses qui se partagèrent l’Europe après le grand cataclysme, celle qui s’était établie du Rhin aux Pyrénées semblait assurément moins prédestinée

  1. Gallia est omnis divisa in tres partes, quarum unam incolunt Belgae, aliam Aquitani, tertiam qui ipsorum linguâ Celtae, nostrâ Galli appellantur. Hi omnes linguâ, institutis, legibùs inter se differunt. — Coesaris Commentarii, lib. I.