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la même cause. Si d’autres carrières ont été plus éclatantes, si d’autres contrées ont vu passer sur le trône de plus grands princes, on peut affirmer qu’en aucun pays les princes n’ont été plus utiles aux peuples, et ne se sont dévoués avec une telle obstination à poursuivre les mêmes desseins et à triompher des mêmes obstacles. Les Hohenstauffen étaient de plus puissans esprits que les Capétiens ; la maison de Plantagenet a produit de plus grands capitaines que la race des Valois ; Charles-Quint exerça sur le monde un prestige d’autorité auquel fut bien loin d’atteindre François Ier, et pourtant la France doit plus de reconnaissance à ses rois que l’empire, l’Angleterre et l’Espagne n’en doivent aux leurs. C’est que jamais princes n’ont aussi efficacement servi une nation et n’ont aussi nettement deviné son avenir. Les rois ont pétri la France comme l’abeille pétrit son miel ; le temps a fait le reste ; chaque génération, dans son passage, a laissé tomber sa goutte d’eau pour la formation de ce cristal magnifique, qui défie les siècles parce qu’il est leur ouvrage.

Ce n’est ni par la configuration géologique, comme l’ont voulu les uns, ni par la nature des élémens primordiaux de la nation, comme d’autres l’ont prétendu, qu’il est possible d’expliquer cette assimilation générale et cette tendance à la concentration du pouvoir, qui se produisit en France dès la première race, et qui trouva dans Napoléon son expression la plus formidable en même temps que la plus complète.

Si le périmètre du vaste bassin qui s’étend des Pyrénées à l’Océan, au Rhin et au Rhône, suffisait pour expliquer la formation d’une grande unité politique, pourquoi ce phénomène ne se serait-il pas également produit dans les deux péninsules voisines, placées, par leur isolement même, dans des conditions plus favorables peut-être à la réalisation de ce phénomène ? Pourquoi la riche Italie, baignée par deux mers, a-t-elle vécu d’une vie purement municipale ? Pourquoi l’Espagne, séparée de l’Europe par une infranchissable barrière, est-elle demeurée divisée en royaumes que quarante années de révolutions et de douleurs n’ont pu confondre encore sous une législation commune ? D’ailleurs, au point de vue géographique, l’Allemagne, délimitée par le Rhin, arrosée par tant de cours d’eau navigables, vers lesquels ses plateaux s’abaissent en pentes insensibles, ne semblait-elle pas convier les populations à des communications faciles et à la plus étroite intimité ? N’en est-il pas ainsi de ces immenses espaces où la race slave vit dans des plaines fertilisées par les plus grands fleuves de l’Europe, sans être jamais parvenue à s’appartenir à elle-même et à compter parmi les nations ?

L’oeuvre à laquelle ont travaillé nos pères pendant six siècles, et dont nous jouissons pleinement depuis Richelieu, ne s’explique pas davantage par la nature des élémens dont l’agglomération a formé notre