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bien du fatras, bien des livres mal écrits, d’une longueur insupportable, d’une lecture fastidieuse. Toutefois, si on les considère comme simples recueils de matériaux, le jugement doit changer : ces livres sont généralement faits avec conscience, à l’aide de recherches assidues, et il en est bien peu qui ne contiennent un fait nouveau, une lumière inattendue.

Sous l’ancienne monarchie, la plupart des provinces avaient déjà leurs historiens particuliers, dom Vaissette pour le Languedoc, dom Lobineau pour la Bretagne, dom Calmet pour la Lorraine ; mais ces historiens étaient dés bénédictins"qui cherchaient avant tout à faire des livres savans, hérissés de faits, de dates, de dissertations, et dans lesquels la partie relative à l’église dominait souvent aux dépens du reste. Bien qu’ils aient gardé auprès des érudits une considération méritée, leur manière, et quelquefois aussi leurs idées, sont passées de mode, et l’on a refait pour les générations nouvelles des livres nouveaux. Le premier ouvrage vraiment remarquable qui ait paru dans ce genre est l’Ancien Bourbonnais, commencé en 1832, à Moulins, par M. Achille Allier. Ce n’est, pas seulement comme travail d’histoire, d’archéologie ou de statistique que l’Ancien Bourbonnais mérite d’être distingué, c’est aussi comme l’une des productions les plus remarquables de l’art typographique en province. Il y a vingt ans à peine que dans nos villes les plus importantes on n’avait point encore édité, nous ne dirons pas un livre de luxe, mais un livre d’une exécution supportable. L’apparition de l’Ancien Bourbonnais fut le signal d’une véritable révolution, et depuis on a vu paraître sur les divers points du royaume des ouvrages tout à la fois artistiques et historiques, qui, sous le rapport de l’exécution matérielle, peuvent soutenir la comparaison avec les produits des presses parisiennes. L’Ancienne Auvergne a succédé à l’Ancien Bourbonnais ; puis, après les livres sérieux, où le dessin n’était qu’un commentaire indispensable, sont venus les livres dans lesquels le texte n’était plus qu’un commentaire du dessin. La province avait commencé par des illustrations savantes ; Paris continua d’exploiter cette veine par des illustrations pittoresques, et les libraires montrèrent tant d’empressement à spéculer sur cette branche d’industrie, qu’on vit paraître simultanément trois Bretagnes illustrées ; c’était plus qu’il n’en fallait pour compromettre l’histoire des provinces. L’ouvrage le plus considérable qui ait été entrepris dans ce genre, non-seulement pour la France, mais pour aucun autre pays de l’Europe, est sans contredit la publication faite sous les noms de MM. Cailleux, Taylor et Nodier, et connue sous le titre de Voyage pittoresque et artistique dans l’ancienne France. Quand l’ouvrage sera terminé, si jamais on le termine, chaque exemplaire coûtera au souscripteur ou à ses héritiers trente-trois mille francs, et la somme totale des souscriptions prises par l’état représentera le chiffre énorme de deux millions.

Les annalistes des villes sont aussi nombreux que les villes, et quelquefois on en rencontre pour la même localité plusieurs dans la même année, sept par exemple pour Reims seulement en 1843. C’est qu’en effet l’histoire des provinces, qui s’allie chaque jour plus intimement avec l’archéologie, la numismatique, la statistique, descend de plus en plus du général au particulier, et des monographies on arrive par degrés aux infiniment petits. On ne s’en tient plus à l’histoire des villes, on écrit celle des sièges, des institutions municipales, des établissemens de charité, des rues des ponts, des beffrois, des cloches, des maisons,