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à faire des volumes sans jamais faire un livre. Il en est de même des savans ; les faits, les découvertes, les inventions, se disséminent sans que personne prenne soin d’en dresser le catalogue, comme l’ont fait Fontenelle, Delambre et Cuvier. La plupart de nos contemporains laisseront des mémoires, des articles dans les encyclopédies, des notes dans les comptes-rendus, de petits traités dans les annuaires : combien en est-il qui travaillent à construire leur monument ? La note suivante, extraite de la Littérature française contemporaine, et relative à l’un de nos savans les plus illustres, M. Arago, fera juger beaucoup mieux que tout ce que nous pourrions dire de la dispersion que nous signalons ici. Voici cette note significative : « En suivant la marche tracée par les bibliographes qui nous ont devancés dans la carrière, c’est tout au plus si nous devrions enregistrer ici le nom d’un des savans les plus distingués de la France, M. Arago n’ayant, à proprement parler, publié seul aucun livre. »


II.

Le progrès que nous venons de constater dans les sciences naturelles et mathématiques, nous le retrouvons encore dans la géographie, qui forme dans les catalogues les prolégomènes de l’histoire. Ce rapprochement est logique, car il faut connaître le globe pour s’orienter au milieu des peuples qui se sont succédé à sa surface, au milieu de ceux qui s’agitent aujourd’hui sur cette terre, d’où ils disparaîtront bientôt. La géographie, d’ailleurs, a pris dans les sciences historiques modernes une importance de jour en jour plus considérable, parce qu’on a compris qu’il n’y avait pas seulement des peuples juxtaposés et séparés les uns des autres par une rivière, une montagne ou la simple pierre qui marque les frontières, mais de grandes familles de peuples, et dans l’étude de la filiation des races la solution de plus d’un problème politique.

Ce qui frappe d’abord dans la section relative à cette science, c’est l’abondance des grands ouvrages, des relations de voyages entrepris aux frais de l’état, afin de perfectionner les sciences naturelles, d’observer les phénomènes astronomiques, d’étudier l’histoire et les langues, et de prendre possession du globe par la civilisation. Il suffit d’indiquer dans ce genre les expéditions de l’Astrolabe, de la Bonite et de la Favorite. Les explorations géographiques, si heureusement servies par la paix ; l’ont été également par la guerre. C’est la France qui la première a mis les conquêtes militaires au service de la science, et qui a renforcé ses armées d’une brigade de géographes, de naturalistes, d’archéologues. Le grand ouvrage sur l’Égypte, aussi glorieux pour notre pays que les batailles épiques livrées par nos soldats sur la terre des Pharaons, a marqué dans l’histoire des lettres et des sciences l’avènement d’un ordre de travaux jusqu’alors inconnus, d’une série d’études accomplies sous la protection du canon. L’Expédition scientifique de la Morée et l’Exploration scientifique de l’Algérie continuent dignement cette grande œuvre. Aux efforts du gouvernement se sont joints les efforts individuels ; les voyages économiques, politiques, scientifiques ou littéraires se sont multipliés dans une proportion jusqu’alors inconnue, et les Anglais n’ont point gardé le monopole exclusif de l’esprit d’aventures ou du talent d’observation.