Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/427

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la chimie et la physique qui s’allient à la philosophie médicale. On dissèque le cadavre sans discuter sur la nature de l’ame. L’école de Montpellier seule est restée franchement spiritualiste. L’école de Paris, sans être matérialiste, est complètement indifférente.

Les nombreux ouvrages que la médecine produit chaque année se répartissent, comme dans les autres branches des sciences, en traités élémentaires très succincts et en monographies très développées. Les livres purement dogmatiques sont de jour en jour plus rares ; mais, en compensation, on a singulièrement perfectionné les ouvrages d’anatomie descriptive et les planches figuratives de l’organisation humaine. Tandis que les philanthropes et les économistes engagent contre le vice et la misère une lutte obstinée, les médecins engagent avec non moins d’ardeur le combat contre les souffrances et la mort. Tous les problèmes de la science ont été posés ; la section de médecine de l’Institut, l’Académie royale, les sociétés spéciales de la capitale et des provinces ont puissamment secondé le mouvement, et elles ont reçu en communication une grande quantité de mémoires, parmi lesquels on a toujours distingué ceux des internes de nos hôpitaux, qui, plus jeunes et par cela même plus dévoués, apportent encore dans le travail la sincérité et l’ardeur. Par malheur, dans aucune autre branche des connaissances humaines, le charlatanisme ne s’est montré plus effronté. Dans aucune autre section bibliographique, on ne rencontre plus de travaux apocryphes et pour ainsi dire impersonnels.

Absorbés tout entiers par une clientelle lucrative, bien des hommes en renom signent des articles ou des livres dont ils confient la rédaction à des jeunes gens d’un savoir plus ou moins solide, lesquels à leur tour, distraits par les examens ou le plaisir, passent à d’autres une partie de la besogne. Il en résulte que dans les dictionnaires, par exemple, les articles les plus faibles sont souvent signés des noms les plus connus. C’est encore cette inexcusable supercherie qui enlève à bien des traités spéciaux une partie de leur valeur, les observations n’étant point faites par l’auteur lui-même, mais par des délégués, des étudians qui n’ont ni la capacité, ni l’expérience requise. Les statistiques médicales, qui seules peuvent faire apprécier la valeur de telle ou telle méthode curative, sont également devenues suspectes, parce qu’elles ont péché souvent par la sincérité. On choisit entre les faits au lieu de les donner tous. De là, comme l’a dit M. Civiale, la différence énorme qu’on observe souvent dans les résultats d’une même méthode, lorsqu’elle est appliquée en particulier et lorsqu’elle est publique et soumise à un rigoureux contrôle, lorsqu’on la juge d’après les statistiques et d’après les faits ; de là aussi la défiance des praticiens consciencieux à l’égard des observations qui ne leur sont point personnelles. On veut exploiter la science comme un moyen de fortune rapide, et, comme le livre n’est qu’une carte de visite qu’on adresse au public, on a soin, pour se faire une clientelle, de guérir les incurables, et de laisser à la terre le soin de couvrir les bévues[1].

À côté de la médecine proprement dite, de celle qui s’occupe exclusivement

  1. Nous ne parlerons point ici de la littérature médicale exploitée par les empiriques, qui, au lieu d’écrire leurs livres pour les hommes spéciaux, les écrivent pour les malades en attaquant la science et ceux qui la cultivent consciencieusement. Le sujet est assez riche pour avoir formé en quelques années une petite bibliothèque de brochures qui contiennent les élémens d’un piquant chapitre de mœurs.