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lui en a fallu fournir plus d’une preuve, car voilà long-temps qu’elle était habituée à ne donner plus qu’une attention dédaigneuse et une pitié distraite à ces tentatives désespérées, à ces convulsions impuissantes dont les révolutionnaires italiens lui offraient périodiquement le spectacle.

Que si M. Mazzini a eu la pensée d’écrire pour ses concitoyens, il eût été prudent à lui d’aller auparavant rafraîchir ses souvenirs, interroger les hommes d’aujourd’hui et voir de près les choses avant de porter sur les hommes et sur les choses des jugemens aussi absolus ; mais il semble avoir laissé son pays aux insurrections de 1820 et de 1831, et être aussi étranger à ce qui s’y passe à cette heure que s’il sortait de la caverne d’Épiménide. Les faits ont beau se presser sous ses yeux, que lui importent les faits ? Il les considère comme non avenus. Des réformes s’accomplissent, l’idée de nationalité s’éveille pour la première fois, un pape donne à son peuple des institutions libérales, illusions pures ! Où est le principe de la généralité, le principe de l’unité et du progrès absolu ? demande M. Mazzini. En vain vous vous agitez, en vain vous travaillez à dénouer peu à peu les liens qui vous enchaînaient au passé ; vos soins sont superflus, votre labeur est inutile, puisque vous ne possédez pas la formule idéale. L’Italie ne sera jamais libre, ou elle le sera d’une manière complète, absolue, sans restrictions, sans limites. Ainsi le veut la logique. Oh ! l’admirable chose que la logique, et voyez comme elle vient ici bien à point ! « Il est, dit M. Mazzini, de toute impossibilité que le pape veuille faire un seul pas pour combattre la domination étrangère et rompre le pacte qui le soumet politiquement au cabinet de Vienne. » E pure si muove. Tandis que nous philosophons tout à notre aise et argumentons par A plus B, voici que la réalité et le fait brutal viennent mettre notre logique en déroute et nous jeter les plus ironiques démentis.

Est-ce à dire que le livre de M. Mazzini n’ait aucune valeur ? Telle n’est point notre pensée. Nous trouvons dans la première partie, exposées avec une sagacité remarquable, les causes qui ont amené la situation actuelle de l’Italie. L’auteur en indique la filiation, il les examine et les apprécie successivement : après les prétentions impériales, les luttes intestines des républiques au moyen-âge ; l’influence de la papauté et le contre-coup de la réforme. Tant que M. Mazzini se renferme dans l’étude du passé, nous n’avons pas d’objections à lui faire ; mais, dès qu’il entre dans le domaine des événemens contemporains, le procédé d’argumentation qu’il s’obstine à appliquer à toutes les situations et à toutes les circonstances ne nous semble pas la marque d’un esprit politique. Le travail solitaire de la pensée agissant sur elle-même, en dehors des conditions du monde réel, conduit souvent et logiquement à l’absurde. On arrive, comme le dit M. Mazzini lui-même, à des « croyances roides et indomptables, » et la patrie, qui dans ces jours de crise n’a pas trop du concours de tous ses enfans, n’est-elle pas en droit de demander compte de leur inaction à ceux qui se croisent les bras sous prétexte que les réformes actuelles ne sont que des expédiens transitoires, tout en reconnaissant néanmoins que le développement logique de leurs principes ne peut être atteint avant plusieurs siècles ?

Au reste, il ne serait pas difficile de mettre en maint passage M. Mazzini en contradiction avec lui-même, de le montrer, lui qui se pique de logique, tantôt admirateur excessif, tantôt détracteur de Pie IX, qu’il affirme quelque part n’être