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ne le voulait son gouvernement, mais il était sur les lieux, et il croyait sans doute pouvoir jouer toute la partie.

Nous avons dit le but, nous avons une certaine répugnance à dire les moyens ; mais enfin les manœuvres du parti progressiste et anglais à Madrid ont reçu une publicité que nous ne pouvons pas leur retirer. Il paraîtrait donc que MM. Salamanca et Bulwer n’auraient pas trouvé dans les entourages de la reine toute la docilité de caractère qu’ils y auraient désirée, et qu’ils auraient cherché à substituer aux influences existantes d’autres influences plus obéissantes et plus dévouées à leurs vues. On a prononcé des noms propres, plus ou moins propres. On a parlé d’un certain colonel, ancien officier de l’état-major d’Espartero, et qui, sans doute pour mieux garder l’incognito, était allé faire du tapage dans les bureaux d’un journal.

Toujours est-il que la manœuvre avait été assez bien menée pour avoir été sur le point de réussir. Le terrain avait été très adroitement miné, et le général Serrano lui-même ne savait pas jusqu’à quel point son influence était compromise. Il ne le sut que lorsqu’il lui fut dit directement qu’une séparation était devenue nécessaire. L’hostilité déclarée du parti progressiste le rejetait naturellement du côté du parti modéré ; il avait des amis et des frères d’armes dans le ministère même de M. Salamanca ; les relations ne furent pas difficiles à établir, et dans la soirée du 3 octobre, le général Narvaez, duc de Valence, était nommé président du conseil. On assure que, pendant la conférence dans laquelle furent signées les ordonnances, M. Bulwer et M. Escosura, ministre de l’intérieur, tentèrent vainement d’être reçus au palais. On ajoute que le colonel Gandara, après une entrevue avec M. Bulwer, chercha aussi à se faire admettre, et n’eut pas plus de succès. Quant à M. Salamanca, il avait une telle sécurité, qu’il était allé se promener à Aranjuez. Il ne revint que le soir pour aller au spectacle. Ce fut M. Ros de Olano, un des ministres, qui contresigna l’ordonnance royale appelant le duc de Valence à la présidence du conseil. M. Escosura se trouvait chez M. Ros, quand le général Narvaez s’y présenta ; il prit l’éveil et alla prévenir MM. Salamanca, Goyena, Cortazar et Sotelo, puis tous quatre s’assemblèrent au ministère des affaires étrangères pour délibérer. Le général Narvaez, en grand uniforme, tomba au milieu de ce conseil, et y entra un peu comme Louis XIV dans le parlement. Il était trois heures du matin. Le général, avec beaucoup de sang-froid, annonça à M. Salamanca et à ses collègues que la reine l’avait chargé de composer un nouveau cabinet, et de leur demander leur démission. On dit que M. Salamanca et M. Escosura firent une certaine apparence de résistance, et que le dernier demanda qui avait contresigné les ordonnances, sur quoi M. Ros de Olano, qui accompagnait le duc de Valence, se montra et répondit : « C’est moi ; » ce qui mit fin à toute nouvelle interrogation.

Ainsi s’est terminée cette crise bizarre, et assurément c’était la meilleure solution qu’elle pût recevoir. Depuis ce moment, la reine est, dit-on, très gaie ; elle raille assez spirituellement ses anciens ministres. M. Salamanca, dans l’audience habituelle de congé qu’il a reçue, a été très froidement accueilli. Il reste maintenant à désirer ce que des intrigues fort peu honorables ont jusqu’à présent empêché, la réconciliation de la reine avec son mari. Il y a lieu d’espérer que ce rapprochement si désirable ne tardera pas à se faire. Au milieu des embûches et des obsessions dont elle était entourée, la jeune reine prononçait avec