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doctrine nouvelle sur l’amour, il a créé aussi, si je puis le dire, la philosophie des arts. En montrant le rapport qui existe entre la beauté de la forme et la beauté de l’idée, et comment l’une peut mener l’autre, il a révélé le principe divin des arts ; car, dans les arts comme dans l’amour, la beauté matérielle n’est bonne qu’à nous initier à la beauté morale : les vierges de Raphaël ne sont belles que pour être divines.

La doctrine platonicienne convenait aussi aux mœurs de l’Italie du XVe siècle. Comme elle ne dédaigne pas la beauté de la forme, elle est par ce côté plus indulgente aux sens, et elle comporte une sorte de relâchement qui, pour des philosophes, a le mérite de n’être pas une contradiction, puisque, lorsqu’ils aiment la beauté, ils sont censés en train d’aimer la vertu.

Ainsi, des deux caractères que la doctrine platonicienne avait pris dans les pères de l’église, l’amour de Dieu d’une part, et de l’autre le dédain et la crainte de l’amour humain, de ces deux caractères, l’un disparaît et l’autre diminue dans le platonicisme italien. L’amour humain n’est plus dédaigné et réprouvé ; il redevient ce qu’il était dans Platon, un des degrés qui conduisent à l’amour de la beauté divine. Les platoniciens de Careggi, comme gens de bonne compagnie, répugnent à la débauche ; mais ils respectent l’amour, et ils le chantent en vrais fils de Dante et de Pétrarque[1]. En même temps, l’amour de Dieu perd peu à peu son caractère chrétien ; il redevient aussi, comme dans Platon, l’amour du beau infini. Or, le beau infini touche à Dieu, mais ce n’est plus Dieu lui-même, et les platoniciens de l’Italie se faisaient gloire de ce retour aux idées de Platon ; ils s’applaudissaient de l’esprit séculier et mondain que leur philosophie donnait à la littérature italienne, sans trop s’inquiéter si ce caractère tout séculier n’allait pas même jusqu’à devenir quelque peu païen.


SAINT-MARC GIRARDIN.

  1. Voyez les poésies de Laurent de Médicis ; voyez aussi celles de Michel-Ange.