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sur la jeunesse, sur l’amour, et qui semblent comme une page oubliée des Confessions. Je ne puis résister au plaisir d’en citer un exemple « Eh quoi ! dit-il dans un de ses sermons sur les épîtres de saint Paul, si un amant s’habille autrement qu’il ne plaît à sa maîtresse, si, en le voyant, elle lui dit : « Je ne veux pas que vous ayez cette casaque « rouge, » il quitte sa casaque et ne la met plus ; si en hiver elle lui dit : « Je vous aime en tunique, » il se met en tunique, aimant mieux grelotter de froid que de déplaire. Est-ce que sa maîtresse doit, s’il désobéit, le condamner à la prison ou lui faire donner la torture ? Non : elle n’a qu’un mot pour se faire obéir et pour faire trembler son amant : « Je ne vous reverrai plus. » C’est avec ce mot qu’une maîtresse se fait redouter. Et si Dieu vous le dit, ce mot formidable, vous ne tremblerez pas ! Ah ! oui, nous tremblerons beaucoup, mais seulement si aimons beaucoup[1]. »

Voilà par quels traits saint Augustin est à la fois, selon moi, le plus sévère et le plus humain des prédicateurs ; voilà comment il méritait que Pétrarque le prît pour le confident et le censeur de ses amours[2].

Nous avons vu comment, dans les pères de l’église et même dans saint Augustin, que fait parler Pétrarque, l’amour platonique s’était confondu avec l’amour de Dieu, les pères de l’église ne prenant pour ainsi dire la doctrine de Platon que lorsqu’elle touche à sa perfection. Nous avons vu comment, dans le Dante et dans Pétrarque, cette doctrine revenant vers les sentimens humains, l’amour était à la fois une idée et une femme ; comment, dans Béatrice surtout, l’idée l’emportait sur la femme, tandis que dans Laure la femme l’emportait sur l’idée. Il nous reste à voir la troisième phase de la doctrine de l’amour platonique, dans l’école des platoniciens, en Italie, au XVe siècle.

L’amour, qui dans le Dante était une inspiration morale et religieuse, et dans Pétrarque une inspiration littéraire et poétique, devient dans l’école platonicienne du XVe siècle une doctrine érudite et savante qui s’attache avec une sorte de fanatisme aux idées de Platon sans vouloir y rien ajouter.

Pour mieux comprendre cet enthousiasme érudit, supposons que nous assistons à un de ces banquets solennels que Laurent de Médicis donnait à ses amis dans sa villa de Careggi, le jour de la naissance et

  1. Édifion Gaume, t. V, p. 1126.
  2. Pétrarque, dans la préface de ses dialogues, fait un beau portrait de saint Augustin lui apparaissant tout à coup : « Religiosus aspectus, frons modesta, graves oculi, sobrius incessus, habitus sacer ; sed romana facundia gloriosissimi patris Augustini quoddam satis apertum indicium praeferebat. Accedebat dulcior quidam majorque quam nescio quid hominis affectus. » Ces derniers mots peignent heureusement une tendresse de sentimens qui est un des caractères principaux de saint Augustin.