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qui voit dans le bloc de marbre la statue qui y est captive, et qui l’en fait sortir d’un coup de son ciseau ; mais j’admire encore plus le philosophe qui sut le premier voir dans les marbres de Phidias et de Praxitèle l’idée divine qui y était captive aussi, et qui, délivrant le dieu de sa prison, l’a montré à tous les yeux, non plus seulement dans la splendeur de sa beauté matérielle, mais dans la splendeur de sa beauté morale.

En développant ainsi le sens de la sculpture grecque, Platon n’a pas altéré par de vaines subtilités la signification des marbres de Phidias. Le philosophe a continué l’œuvre du statuaire, et, quand il a mené l’art de la forme humaine vers l’idée divine, il n’a fait que le pousser sur la route que l’art avait ouverte. N’oublions pas, en effet, ce que l’art grec avait fait des dieux qui lui étaient venus de l’Asie. Je les vois encore ces dieux bizarres et monstrueux, avec leurs difformités pleines d’allégories mystérieuses, je les vois monter sur les vaisseaux de Cécrops ou de Danaüs et aborder aux rivages de la Grèce ; mais, dès qu’ils ont touché cette terre merveilleuse, peu à peu leurs formes s’épurent, leurs traits s’embellissent. Que sont devenus, dieux de l’antique Égypte, vos bras raides et immobiles, vos jambes attachées l’une à l’autre, vos corps accroupis sur leurs sièges de porphyre et dont ils semblent ne point pouvoir se séparer ? Vos gestes se sont assouplis, vos pieds marchent, vos bras s’arrondissent, vos mains s’ouvrent, vos lèvres parlent, vos yeux voient ; vous n’êtes plus de hideuses images et d’étranges symboles faits pour effrayer la terre plutôt que pour l’instruire. En passant du domaine de l’allégorie, qui est savante, compliquée et difforme, dans le domaine de l’art, qui vise à la simplicité et à la beauté, les dieux ont pris la forme des plus beaux d’entre les humains, et c’est dans cette beauté humaine qu’ils ont trouvé la divinité, car ils ont charmé et élevé l’ame qui les contemple. Et, la philosophie venant après l’art, Platon, après Phidias, a révélé à l’homme le sens vraiment divin de cette beauté. Ne me parlez donc plus des cent mamelles de la Diane d’Éphèse, enveloppée dans sa gaîne mystique ; vain emblème qui, pour révéler la fécondité de la nature, ne vaut pas la beauté de la Vénus génératrice qu’a sculptée la statuaire et qu’a chantée la poésie. Ne me parlez pas des cent bras des Titans, pauvre image de la force, auprès du mouvement de sourcils que Phidias a donné à son Jupiter olympien pour remuer le monde. L’allégorie orientale tourmentait et défigurait la forme pour lui donner un sens ; l’art grec la spiritualise par la beauté, et, à mesure que la matière s’épure en s’embellissant, elle parle à l’ame un langage que celle-ci entend mieux.

Ce travail du génie de Platon pour aller du beau au bon ne se fait voir nulle part plus clairement que dans la transformation morale qu’il ait subir à l’idée de l’amour, tel surtout qu’était l’amour chez les Grecs.