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il s’est peint lui-même avec une grande vérité, sauf un point seulement quand il dit de la troisième classe de combattans, qu’ils étaient moins populaires que les uns, que les jeunes historiens de la Révolution française, il a raison ; mais quand il ajoute qu’ils étaient moins originaux que les autres, c’est-à-dire que l’élite universitaire, il fait trop bon marché de ce qu’il possède. Et qu’est-ce donc que cette fusion de qualités et de nuances sans nombre, sinon la plus rare et la plus distinguée des originalités ?

En prenant décidément la plume comme une épée, pour ne la plus quitter qu’au lendemain de la victoire, celui qui se faisait franchement journaliste crut devoir justifier de ses motifs auprès de ses amis du monde, toujours prompts à se scandaliser. L’article intitulé : Du choix d’une opinion, qui contient une véritable profession de principes, s’adressait aux salons bien plus qu’au public. C’est en ce sens qu’il le faut lire et comprendre aujourd’hui. Ces Mélanges, ainsi interprétés, sont une suite de chapitres composant des mémoires intellectuels.


« Qu’on cesse donc de s’étonner, écrivait M. de Rémusat en terminant, si ceux que tourmente l’amour de ce qu’ils croient la justice ont consacré publiquement leur voix à répandre dans tous les cœurs le sentiment qui les anime. Ni les injures de la malveillance, ni le blâme des indifférens, ni les anxiétés de l’amitié timide ne sauraient leur persuader qu’ils n’aient point choisi la meilleure part. Et de quel prix serait la vie, avec les passions qui la corrompent et les chagrins qui la désolent, de quel intérêt serait la société que l’erreur égare et que la force ravage, sans le besoin de chercher la vérité et le devoir de la dire ? De quoi serviraient à l’homme ces notions ineffaçables, qu’il trouve en lui-même, de son origine et de sa fin, si elles ne donnaient à sa destinée les caractères d’une mission ?… La liberté, la dignité nationale, cette conséquence de la liberté, de la dignité de l’espèce humaine, est une croyance assez grande et assez belle pour remplir un cœur et relever toute une vie… »


Voilà des accens. Ils trouvaient alors écho dans toutes les jeunes ames. C’était un moment plein de solennité que celui où l’on consacrait ainsi à une juste cause un feu et un talent qu’on croyait inépuisables comme elle. Cela était vrai en politique, en littérature, en art, en tout.

Le temps a marché, et il s’est trouvé (chose remarquable !) que les causes que l’on épousait ont moins duré que la vie des hommes, moins que leur jeunesse même, moins que leur talent ! Si l’on prenait des noms propres parmi les plus éminens de nos jours, en religion, en poésie comme en politique, on serait frappé de cette rapidité avec laquelle les sujets et les trains d’idées se sont usés en peu d’espace. Il a fallu de la sorte, pour les esprits infatigables, comme une suite de relais successifs, et tel, sa vie durant, se trouve avoir eu deux ou trois idées tuées sous lui. Autrefois les choses allaient moins vite ; les régimes politiques, aussi bien que les restaurations morales, moins battus en brèche, se maintenaient d’ordinaire au-delà d’une vie ; il n’y avait pas