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je n’eusse pu faire en ce tournoi ce que vous vîtes ; et si je fis là aucune chose dont je doive avoir los et prix, j’en dois savoir gré à amour et à ma dame que j’aime. Nulle autre chose au monde je n’en dois remercier. »

C’est ainsi que les romans de chevalerie sont, sans que leurs auteurs s’en doutent, un perpétuel et gracieux commentaire du Banquet de Platon.

A côté de cet amour qui inspire les grands sentimens et les belles actions, et si bien célébré par le Phèdre du Banquet, il est un autre amour que le jeune Agathon chante à son tour dans un hymne digne d’Anacréon et digne aussi de Socrate qui l’entend, tant la philosophie s’y mêle naturellement à la poésie : c’est l’amour tel qu’il est dans l’Olympe païen, ou plutôt tel qu’il est sorti du ciseau de Praxitèle, car les dieux du paganisme doivent beaucoup à la sculpture grecque c’est elle qui leur a donné cette forme gracieuse et charmante qui fait qu’ils ont gardé l’immortalité des beaux-arts après avoir perdu l’immortalité divine. Seulement, sous le ciseau du sculpteur, l’idée ou le sentiment que représentait chaque divinité s’effaçait, pour ainsi dire, dans la beauté de la forme : le corps éclipsait l’ame. Dans le discours d’Agathon, au contraire, qui est un artiste, mais qui est aussi un philosophe, la pensée se dégage de la forme sans rien perdre cependant de la grace de cette forme. Le dieu s’idéalise, et cependant il garde une réalité charmante : « L’amour, dit Agathon, plane et se repose sur tout ce qu’il y a de plus tendre ; car c’est dans les ames des dieux et des hommes qu’il fait sa demeure. Et encore n’est-ce pas dans toutes les ames indistinctement : rencontre-t-il un cœur dur, il passe et ne s’arrête que dans un cœur tendre. Or, s’il ne touche jamais de son pied ou du reste de son corps que la partie la plus délicate des êtres les plus délicats, ne faut-il pas qu’il soit doué lui-même de la délicatesse la plus exquise ? Il est donc le plus jeune et le plus délicat des dieux. J’ajoute qu’il est d’une essence toute subtile ; autrement il ne pourrait pénétrer partout, se glisser inaperçu dans tous les cœurs et en sortir de la même manière. Et qui ne reconnaîtrait une subtile essence à la grace qui, de l’aveu commun, distingue l’amour ? Amour et laideur sont partout en guerre. Jamais l’amour ne se fixe dans rien de flétri, corps ou ame ; mais où il trouve des fleurs et des parfums, c’est là qu’il se plaît et qu’il s’arrête. »

Quel heureux mélange du langage des sens et du langage de l’ame ! Comme tout est pensée et comme tout est image ! Comme tout ce qui est forme devient une idée délicate et fine ! Comme tout ce qui est idée devient une forme gracieuse et belle ! Tel est l’art de Platon : il sait faire sortir l’idée de la forme ; il sait expliquer le sens divin de ces beaux corps que la Grèce adorait dans ses temples. Ah ! j’admire le sculpteur