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froid excessif, tout le luxe de la pauvre famille consiste à faire grand feu, et le soir chacun s’endort en cercle autour du foyer, les pieds dans les cendres.

La condition des Zingares présente quelques traits particuliers qui n’appartiennent qu’à eux. Il n’est point ici question de ceux de leur race qui, voués à la vie errante, sont occupés dans les forêts à de petits ouvrages en bois ou colportent les produits de leur industrie de hasard, voiturant par les grands chemins tout leur mobilier et couchant sous la tente ou en plein air. Il s’agit de ceux-là qui, renonçant au vagabondage et sortant de l’état de nature, ont pris domicile et sont entrés dans la classe des paysans. Le plus souvent ils ne possèdent pas même la cabane ni les haillons du sujet roumain. Ils habitent sous terre, dans des trous recouverts de paille ou de fagots et d’argile, et fermés par des portes d’osier. Ils s’établissent de préférence sur le penchant de quelque monticule un peu isolé. Parfois, au détour d’un grand chemin, pendant que vos regards cherchent quelque horizon nouveau, tout à coup, à quelques pas, sur le flanc d’un rocher, des têtes humaines apparaissent comme des spectres sortant de tombeaux délabrés. Ce sont des paysans zingares que le bruit de vos pas attire, et qui viennent faire un appel à votre charité, un peu à la façon du mendiant de Gil Blas. Dans ces trous infects, les enfans des deux sexes sont élevés à peu près jusqu’à l’âge de puberté dans la nudité la plus entière et dans une liberté toute primitive.

Pour être juste, il ne faut point rejeter sur la législation et les propriétaires toute la responsabilité d’un si profond dénûment. Les Zingares ne manquent point d’industrie ni d’activité ; néanmoins, par suite d’une corruption invétérée, ils ne savent employer que pour le mal les ressources d’un esprit inventif et alerte. Il semble que cette race soit faite pour vivre en dehors de la société, dans la pratique des métiers illicites : c’est son penchant et son bonheur, et sa hideuse indigence, ses habitations souterraines ne lui répugnent point, pourvu qu’elle y trouve un peu de liberté dans l’isolement[1]. Ces fâcheuses habitudes ne doivent pas cependant décourager le législateur. Parce que de bonnes intentions auront échoué, parce que des esprits généreux auront perdu leur peine à des essais sans doute inintelligens de moralisation, il ne s’ensuit pas que les seigneurs transylvains aient conquis le droit d’ériger, à l’égard de ces malheureuses populations, le mépris et la cruauté en système.

Les paysans roumains méritent encore moins d’être traités avec cette coupable indifférence. Ceux-ci, loin d’avoir rien fait pour s’attirer le sort auquel on les a réduits, sont le plus noble peuple de la principauté, les Welches de l’Orient, les fils de Rome, et c’est de leur sang que sont sortis les hommes qui ont le plus honoré ces contrées, ne fût-ce que Mathias Corvin. Cette race pleine d’une sève aujourd’hui ravivée commence à comprendre ou du moins à sentir sa force, et ne demande qu’à en trouver l’emploi. Jusqu’à présent elle n’a pas fait preuve d’un goût fort prononcé pour le travail ; mais faut-il s’en étonner ? Faut-il attribuer au génie même de cette population une paresse qui n’est que

  1. Il y a quelques années, un propriétaire bien intentionné fit bâtir des maisons pour un certain nombre de Zingares de ses sujets qui vivaient ainsi dans des bouges inabordables creusés sous terre. Ils s’en réjouirent grandement et fêtèrent de tout leur cœur le maître qui leur voulait tant de bien ; puis, une fois leurs cabanes achevées, ils y logèrent leurs bestiaux, et pour eux-mêmes ils restèrent dans leurs trous.