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de ces transactions, et combien de douleurs privées peut encore coûter cette réforme, si bonne et si modérée qu’elle soit ! Aussi n’a-t-elle guère provoqué jusqu’à présent que des craintes et des expressions de mécontentement. Au nom de leurs blessures encore ouvertes, les seigneurs demandent qu’on les ménage et qu’on leur vienne en aide pour amortir le coup dont leurs biens vont être frappés après leurs personnes ; au nom de leur force qu’ils ont si cruellement éprouvée et de leurs droits dont ils ont pris si vite le sentiment, les paysans déclarent à ceux qui ont profité de leur égarement qu’ils ne se croient point récompensés, qu’ils n’attendent pas moins que l’abolition pleine et entière des privilèges seigneuriaux et l’affranchissement complet des propriétés et des personnes. Et, pendant que l’administration hésite et ajourne l’application de la loi en face de tant de griefs qui s’élèvent des deux côtés, la faim règne avec le désespoir parmi les populations toujours inquiètes ; les travaux restent suspendus, et la famine paraît devoir se prolonger ainsi pendant plusieurs années. Les uns se résignent et meurent patiemment sous leur toit ou sur leur fumier ; les autres, croyant échapper à la misère par le brigandage, infestent les grands chemins et paralysent le peu d’activité qui survit dans le pays. Tel est le fruit du système féodal en Gallicie. Voilà ce que les Polonais et ce que l’Autriche en ont recueilli : conséquences funestes pour tous, et auxquelles ils ne peuvent désormais échapper les uns et les autres que par beaucoup d’abnégation et de sagesse.

Si la législation est la même dans les provinces occidentales de l’Autriche, c’est-à-dire dans la Bohème, la Moravie, l’archiduché, la Styrie, la Carniole et la Carinthie, du moins, hâtons-nous de le dire, elle n’a point produit là d’aussi tristes complications. Entre les paysans galliciens et ceux de l’Autriche occidentale, le contraste est saisissant, non point seulement parce que la physionomie des hommes porte, dans les provinces que nous venons de nommer, l’empreinte d’une civilisation plus avancée et de mœurs plus douces, mais parce que le sol même, les villages, les villes, la classe entière des habitans de la campagne, y présentent les nombreux témoignages d’une culture plus avancée, et, en quelques endroits, d’une prospérité naissante. Pourquoi cette différence en faveur des provinces occidentales ? La raison en est simple, c’est que l’administration vaut mieux ici que les lois. L’Autriche s’est appliquée évidemment à donner à ces populations tous les moyens de bien-être matériel compatibles avec le système de la propriété féodale. Rien ne lui a coûté : elle a fourni au travail toutes les facilités qu’il peut désirer en dehors de la liberté ; elle n’a épargné ni les canaux, ni les routes, ni les voies de fer, ni les institutions de crédit. Enfin elle a protégé avec intelligence, encouragé avec une résolution ferme toutes les grandes opérations financières qui ont eu pour objet l’intérêt de cette partie de l’empire. Les populations ont donc ici moins de motifs violens de vouloir et d’exiger le progrès ; elles n’ont point la puissante raison de la nudité et de la faim. Cependant, si la gêne matérielle les presse moins, une culture intellectuelle plus avancée leur crée des besoins nouveaux, qu’il faudra songer tôt ou tard à satisfaire. Ces populations, plus heureuses que celles de la Gallicie, ont eu des écoles de village ; elles ont eu aussi plus de loisirs pour songer aux biens sociaux ; elles ont enfin respiré de plus près l’air des pays libres ; en un mot, elles ont plus de raisons morales de désirer une émancipation complète. Assurément elles en prennent à leur aise ; elles n’y vont point avec l’ardeur impétueuse des peuples résolus. Cependant