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à peine et occupées encore à s’étudier, prennent leur temps et montrent de la patience dans la poursuite de leur but, on conçoit de même que les partisans des constitutions provinciales se résignent à attendre quelques années encore l’accomplissement d’une réforme politique ; mais la guerre sociale dont la Gallicie a naguère été le théâtre a révélé, par des signes trop certains, le danger imminent qui résulte pour l’empire entier d’une législation dont l’effet est de mettre d’un côté tous les droits avec toute la richesse, de l’autre toutes les souffrances et tous les devoirs. Qui empêcherait cette jacquerie de se reproduire partout où existent les maux qui l’ont fait éclater une première fois ? Et comment ne pas voir que des misères semblables à celles de la Gallicie pèsent sur toutes les provinces gouvernées par le même régime féodal ?

Cette question, si grave que l’on ne saurait la négliger sans péril, pouvait recevoir deux solutions. L’une eût été radicale : c’est celle que nous avons adoptée en 89, c’est l’abolition pure et simple des corvées et des redevances ; mais, ne serait-ce point ici le cas de le dire ? les gouvernemens réguliers ne font point de ces choses-là. L’autre, plus pacifique, quoique plus lente et moins équitable, est le rachat sagement entendu des obligations qui grèvent la propriété. C’est ce procédé légal qu’a choisi la chancellerie de Vienne. En adoptant ce dernier moyen, on avait cependant une condition impérieuse à remplir : il fallait, pour que la mesure du rachat répondit aux griefs et aux besoins des populations, qu’elle fût étendue avec un soin égal à toutes les provinces où les classes agricoles ne sont point encore émancipées ; il fallait qu’elle fût secondée par le bon vouloir de l’administration, par la protection attentive de la justice et par l’établissement d’institutions de crédit qui rendissent plus faciles ces sortes de transactions entre les sujets et les seigneurs ; il fallait enfin qu’elle aboutit à une refonte de la législation civile et de l’ordre administratif pour les personnes et les terres qui seraient affranchies. Sinon, beaucoup de maux subsisteraient et beaucoup de réclamations violentes pourraient encore troubler la paix publique. Par malheur, on n’est pas encore allé jusque-là.

Cependant, au sein de ce vaste empire qui a su demeurer immobile tandis que tout changeait autour de lui, des forces, des intérêts nouveaux se sont développés sur tous les points, et ont imprimé au pouvoir une secousse qui l’entraîne dans le mouvement universel de l’Europe d’aujourd’hui. A côté des questions nationales qui agitent et passionnent les Illyriens, les Magyars, les Roumains, les Bohèmes, des questions sociales ont surgi, et elles ont fait une explosion si violente, que les hommes d’état ne songent plus à les étouffer, mais à les diriger pour les résoudre. Ce n’est pas le seul trait curieux de la physionomie de l’Autriche moderne, mais c’est pour un moment le point culminant de sa situation politique. Cette situation, il faut le dire, a trouvé enfin chez ceux qui étaient appelés à la modifier le sentiment vrai de leurs devoirs. Dans l’ordre social, c’est le gouvernement lui-même qui consent à se faire réformateur ; dans l’ordre politique, s’il n’agit pas directement, il n’ose plus combattre les tendances libérales qui se manifestent au sein des diètes. Étudiée sous ces deux aspects, l’attitude de l’Autriche est également significative ; elle témoigne d’un désir tardif, mais sans doute sincère, de sacrifier, dans certaines questions brûlantes, le culte aveugle et obstiné de la tradition à des nécessités politiques et sociales qui ne peuvent plus être méconnues sans danger. Pour faire apprécier l’importance