Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/327

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vie et des coutumes de certains peuples. Le sens général leur échappe et ne peut s’acquérir en effet que par des études profondes. Combien je m’applaudissais d’avoir pris d’avance une connaissance exacte de l’histoire et des doctrines religieuses de tant de populations du Liban, dont le caractère m’inspirait de l’estime ! Dans le désir que j’avais de me fixer au milieu d’elles, de pareilles données ne m’étaient pas indifférentes, et j’en avais besoin pour résister à la plupart des préjugés européens.

En général, nous ne nous intéressons en Syrie qu’aux Maronites, catholiques comme nous, et tout au plus encore aux Grecs, aux Arméniens et aux Juifs, dont les idées s’éloignent moins des nôtres que celles des musulmans ; nous ne songeons pas qu’il existe une série de croyances intermédiaires capables de se rattacher aux principes de civilisation du nord, que l’islamisme repoussera toujours.

La Syrie est certainement le seul point de l’Orient où l’Europe puisse poser solidement le pied et peut-être établir des colonies florissantes, ainsi que le fit l’ancienne Grèce. Partout ailleurs il faudrait refouler les populations arabes ou craindre constamment leur rébellion, comme il arrive en Algérie. Une moitié au moins des populations syriennes se compose soit de chrétiens, soit de races hostiles à la domination musulmane. Il faudrait même ajouter à ce nombre une grande partie des Arabes du désert, qui, comme les Persans, appartiennent à la secte d’Ali.

V. — LE DÎNER DU PACHA.


La journée était avancée, et la fraîcheur amenée par la brise maritime mettait fin au sommeil des gens de la ville. Nous sortîmes du café et je commençais à m’inquiéter du dîner ; mais les cavas, dont je ne comprenais qu’imparfaitement le baragouin plus turc qu’arabe, me répétaient toujours ti sabir, comme des Levantins de Molière.

— Demandez-leur donc ce que je dois savoir, dis-je enfin au Marseillais.

— Ils disent qu’il est temps de retourner chez le pacha.

— Pourquoi faire ?

— Pour dîner avec lui.

— Ma foi, dis-je, je n’y comptais plus ; le pacha ne m’avait pas invité.

— Du moment qu’il vous faisait accompagner, cela allait de soi-même.

— Mais, dans ces pays-ci, le dîner a lieu ordinairement vers midi.

— Non pas chez les Turcs, dont le repas principal se fait au coucher du soleil, après la prière.

Je pris congé du Marseillais et je retournai au kiosque du pacha. En