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parcourir des rues étroites et poudreuses en attendant l’heure convenable pour me présenter au pacha. À part le bazar voûté en ogive et la mosquée de Djezzar-Pacha, fraîchement restaurée, il reste peu de chose à voir dans la ville ; il faudrait une vocation d’architecte pour relever les plans des églises et des couvens de l’époque des croisades. L’emplacement est encore marqué par les fondations ; une galerie qui longe le port est seule restée debout, comme débris du palais des grands-maîtres de Saint-Jean de Jérusalem.

Le pacha demeurait hors de la ville, dans un kiosque d’été situé près des jardins d’Abdallah, au bout d’un aqueduc qui traverse la plaine. — En voyant dans la cour les chevaux et les esclaves des visiteurs, je reconnus que le Marseillais avait eu raison de me faire changer de costume. Avec l’habit levantin, je devais paraître un mince personnage ; avec l’habit noir, tous les regards se fixaient sur moi.

Sous le péristyle, au bas de l’escalier, était un amas immense de babouche laissées à mesure par les entrans. Le tchiboutji qui me reçut voulait me faire ôter mes bottes ; mais je m’y refusai, ce qui donna une haute opinion de mon importance. Aussi ne restai-je qu’un instant dans la salle d’attente. On avait, du reste, remis au pacha la lettre dont j’étais chargé, et il donna ordre de me faire entrer, bien que ce ne fût pas mon tour.

Ici, l’accueil devint plus cérémonieux. Je m’attendais déjà à une réception européenne ; mais le pacha se borna à me faire asseoir près de lui sur un divan qui entourait une partie de la salle. Il affecta de ne parler qu’italien, bien que je l’eusse entendu parler français à Paris, et m’ayant adressé la phrase obligée : « Ton kef est-il bon ? » c’est-à-dire te trouves-tu bien ? il me fit apporter le chibouk et le café. Notre conversation s’alimenta encore de lieux communs. Puis le pacha me répéta : « Ton kef est-il bon ? » et fit servir une autre tasse de café. J’avais couru les rues d’Acre toute la matinée et traversé la plaine sans rencontrer la moindre trattoria ; j’avais refusé même un morceau de pain et de saucisson d’Arles offerts par le Marseillais, comptant un peu sur l’hospitalité musulmane ; mais le moyen de faire fonds sur l’amitié des grands ! La conversation se prolongeait sans que le pacha m’offrît autre chose que du café sans sucre et de la fumée de tabac. Il répéta une troisième fois : « Ton kef est-il bon ? » Je me levai pour prendre congé. En ce moment-là, midi sonna à une pendule placée au-dessus de ma tête, elle commença un air ; une seconde sonna presque aussitôt et commença un air différent ; une troisième et une quatrième débutèrent à leur tour, et il en résulta le charivari que l’on peut penser. Si habitué que je fusse aux singularités des Turcs, je ne pouvais comprendre que l’on réunît tant de pendules dans la même salle. Le pacha paraissait enchanté de cette harmonie et fier sans doute de montrer à