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— Tout cela, s’écria le Marseillais, ne nous donne pas un logement pour ce pauvre prêtre et sa femme.

— Je le recommanderais bien, dit M. Conti, mais vous comprenez que dans tous les cas un couvent catholique ne peut pas recevoir un prêtre grec avec sa femme. Il y a ici un couvent grec où ils peuvent aller.

— Eh ! que voulez-vous ? dit le Marseillais, c’est encore une affaire pire. Ces pauvres gens sont des Grecs schismatiques ; dans toutes les religions, plus les croyances se rapprochent et plus les croyans se détestent, arrangez cela. Ma foi, je vais frapper à la porte d’un Turc. Ils ont cela de bon, au moins, qu’ils donnent l’hospitalité à tout le monde.

M. Conti eut beaucoup de peine à retenir le Marseillais ; il voulut bien se charger lui-même d’héberger le pope, sa femme et le corbeau, qui s’unissait à l’inquiétude de ses maîtres en poussant des couacs plaintifs.

C’est un homme excellent que notre consul et aussi un savant orientaliste ; il m’a fait voir deux ouvrages traduits de manuscrits qui lui avaient été prêtés par un Druse. On voit ainsi que la doctrine n’est plus tenue aussi secrète qu’autrefois. Sachant que ce sujet m’intéressait, M. Conti voulut bien en causer longuement avec moi pendant le dîner. Nous allâmes ensuite voir les ruines, auxquelles on arrive à travers des jardins délicieux, qui sont les plus beaux de toute la côte de Syrie. Quant aux ruines situées au nord, elles ne sont plus que fragmens et poussière : les seuls fondemens d’une muraille paraissent remonter à l’époque phénicienne, le reste est du moyen-âge ; on sait que saint Louis fit reconstruire la ville et réparer un château carré, anciennement construit par les Ptolémées. La citerne d’Élie, le sépulcre de Zabulon et quelques grottes sépulcrales avec des restes de pilastres et de peintures complètent le tableau de tout ce que Seyda doit au passé.

M. Conti nous a fait voir, en revenant, une maison située au bord de la mer, qui fut habitée par Bonaparte à l’époque de la campagne de Syrie. La tenture en papier peint, ornée d’attributs guerriers, a été posée à son intention, et deux bibliothèques surmontées de vases chinois renfermaient les livres et les plans que consultait assidûment le héros. On sait qu’il s’était avancé jusqu’à Seyda pour établir des relations avec les émirs du Liban. Un traité secret mettait à sa solde six mille Maronites et six mille Druses destinés à arrêter l’armée du pacha de Damas marchant sur Acre. Malheureusement les intrigues des souverains de l’Europe et d’une partie des couvens hostiles aux idées de la révolution arrêtèrent l’élan des populations ; les princes du Liban, toujours politiques, subordonnaient leur concours officiel au résultat du siège de Saint-Jean-d’Acre. Au reste, des milliers de combattans indigènes s’étaient réunis déjà à l’armée française en haine des Turcs ;