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— Voyez-vous ces braves gens-là, me dit celui-ci, ils ont peut-être à eux deux un siècle et demi, et ils ont voulu voir la Terre-Sainte avant de mourir. Ils vont célébrer la cinquantaine de leur mariage à Jérusalem ; ils avaient des enfans, qui sont morts, ils n’ont plus à présent que ce corbeau ; eh bien ! c’est égal, ils s’en vont remercier le bon Dieu !

Le pope, qui comprenait que nous parlions de lui, souriait d’un air bienveillant sous son loquet noir ; la bonne vieille, dans ses longues draperies bleues de laine, me faisait songer au type austère de Rebecca.

La marche du paquebot s’était ralentie, et quelques passagers debout se montraient un point blanchâtre sur le rivage ; nous étions arrivés devant le port de Seyda, l’ancienne Sidon. — La montagne d’Élie (Mar-Elias), sainte pour les Turcs comme pour les chrétiens et les Druses, se dessinait à gauche de la ville, et la masse imposante du khan français ne tarda pas à attirer nos yeux. Les murs et les tours portent les traces du bombardement anglais de 1840, qui a démantelé toutes les villes maritimes du Liban. De plus, tous leurs ports, depuis Tripoli jusqu’à Saint-Jean-d’Acre, avaient été, comme on sait, comblés jadis d’après les ordres de Fakardin, prince des Druses, afin d’empêcher la descente des troupes turques, de sorte que ces villes illustres ne sont que ruines et désolation. La nature pourtant ne s’associe pas à ces efforts si long-temps renouvelés des malédictions bibliques. Elle se plaît toujours à encadrer ces débris d’une verdure délicieuse. Les jardins de Sidon fleurissent encore comme au temps du culte d’Astarté. La ville moderne est bâtie à un mille de l’ancienne, dont les ruines, entourent un mamelon surmonté d’une tour carrée du moyen-âge, autre ruine elle-même.

Beaucoup de passagers descendaient à Seyda, et, comme le paquebot s’y arrêtait pour quelques heures, je me fis mettre à terre ainsi que le Marseillais. Le pope et sa femme débarquèrent aussi, ne pouvant plus supporter la mer et ayant résolu de continuer par terre leur pèlerinage. Nous longeons dans un caïque les arches du pont maritime qui joint à la ville le fort bâti sur un îlot, nous passons au milieu des frêles tartanes qui seules trouvent assez de fond pour s’abriter dans le port, et nous abordons à une ancienne jetée dont les pierres énormes sont en partie semées dans les flots. La vague écume sur ces débris, et l’on ne peut débarquer à pied sec qu’en se faisant porter par des hamals presque nus. Nous rions un peu de l’embarras des deux Anglaises, compagnes du missionnaire, qui se tordent dans les bras de ces tritons cuivrés, aussi blondes, mais plus vêtues que les néréides du Triomphe de Galatée. — Le corbeau commensal du pauvre ménage grec bat des ailes et pousse des cris ; une tourbe de jeunes drôles, qui se sont fait des machlahs rayés avec des sacs en poils de chameaux, se précipite sur les bagages ; quelques-uns se proposent comme cicérones en hurlant deux