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Grecs, des Arméniens, des Italiens, des gens de Marseille. Tous les Turcs que l’on peut trouver, on en fait des cadis, des ulémas, des pachas, ou bien on les envoie en Europe pour les faire voir… Que voulez-vous ? tous leurs enfans meurent ; c’est une race qui s’en va !

— Mais, dis-je, ils savent encore assez bien garder leurs provinces cependant.

— Eh ! monsieur, qu’est-ce qui les maintient ? C’est l’Europe, ce sont les gouvernemens qui ne veulent rien changer à ce qui existe, qui craignent les révolutions, les guerres, et dont chacun veut empêcher que l’autre prenne la part la plus forte ; c’est pourquoi ils restent en échec à se regarder le blanc des yeux, et pendant ce temps ce sont les populations qui en souffrent ! On vous parle des armées du sultan ; qu’y voyez-vous ? Des Albanais, des Bosniaques, des Circassiens, des Curdes ; les marins, ce sont des Grecs ; les officiers seuls sont de race turque. On les met en campagne ; tout cela se sauve au premier coup de canon, ainsi que nous avons vu maintes fois,… à moins que les Anglais ne soient là pour leur tenir la baïonnette au dos, comme dans les affaires de Syrie.

Je me tournai du côté du missionnaire anglais, mais il s’était éloigné de nous et se promenait sur l’arrière.

— Monsieur, me dit le Marseillais en me prenant le bras, qu’est-ce que vous croyez que les diplomates feront quand les rayas viendront leur dire : « Voilà le malheur qui nous arrive ; il n’y a plus un seul Turc dans tout l’empire ; nous ne savons que faire, nous vous apportons les clés de tout ! »

L’audace de cette supposition me fit rire de tout mon cœur. Le Marseillais continua imperturbablement

— L’Europe dira : « Il doit y en avoir encore quelque part, cherchons bien !… Est-ce possible ? Plus de pachas, plus de vizirs, plus de muchirs, plus de nazirs… Cela va déranger toutes les relations diplomatiques. A qui s’adresser ? Comment ferons-nous pour continuer à payer les drogmans ? »

— Ce sera embarrassant en effet.

Le pape, de son côté, dira : « Eh ! mon Dieu ! comment faire ? Qu’est-ce qui va donc garder le saint sépulcre à présent ? Voilà qu’il n’y a plus de Turcs !… »

Ce tableau, plein d’exagération sans doute, me frappait par quelques traits de vérité. Que le nombre des Turcs ait diminué beaucoup, cela n’est pas douteux ; les races d’hommes s’altèrent et se perdent sous certaines influences, comme celles des animaux. Déjà depuis long-temps la principale force de l’empire turc reposait dans l’énergie de milices étrangères d’origine à la race d’Othman, telles que les mamelouks et les janissaires. Aujourd’hui c’est à l’aide de quelques légions d’Albanais