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pour tous les désirs et toutes les fantaisies. Cette inconduite, si je puis m’exprimer ainsi, atteint et énerve tous les élémens sociaux, la moralité publique, l’honnêteté privée, l’administration, autant que les finances. Le plus fâcheux, c’est que les caractères s’abaissent à ce jeu commode et dangereux ; difficile et impossible deviennent deux mots synonymes ; tout obstacle paraît insurmontable quand arrive le moment d’agir.

De 1840 à 1848, les découverts des budgets ordinaires auront dévoré, outre les accroissemens de recettes, 518 millions, prélevés sur les réserves de l’amortissement, et, en admettant les circonstances les plus favorables, porter, abstraction faite des excédans de recettes, le déficit annuel du budget ordinaire à 40 millions est une évaluation modérée. L’emprunt de 450 millions va être complètement absorbé par les dépenses des travaux auxquels il était affecté, l’emprunt de 350 millions que le ministre des finances a été autorisé à contracter couvrira seulement le déficit des deux années 1847 et 1848, et nous avons dépensé ou nous dépenserons, pour travaux extraordinaires, dans chacune des années 1846, 1847 et 1848, plus de 160 millions. Voilà donc, à moins que la conduite ne change ou que les travaux déjà votés et entrepris ne soient extrêmement ralentis, d’un côté 40 millions, de l’autre 160 millions, en tout 200 millions de dépenses dépassant le produit de l’impôt. Cette situation s’atténue par 17 ou 18 millions que doivent verser, pendant un certain nombre d’années, diverses compagnies de chemins de fer, et par 83 millions, montant des réserves de l’amortissement en 1848. Restent 100 millions de déficit probable pour chaque année à venir. Il serait déraisonnable de calculer, comme on se le permet dans tous les rapports de finances et exposés de motifs, les accroissemens légaux des réserves de l’amortissement, et de les considérer comme un développement de ressources futures. Depuis que ces réserves sont dépensées en travaux publics ou en paiemens de découverts, nécessairement elles ne rachètent plus de rentes ; l’accroissement supposé de ces réserves ne donne lieu qu’à une opération fictive et aboutit à charger chaque année davantage le budget ordinaire au profit du budget extraordinaire ; ce qui devient une ressource pour celui-ci est une charge équivalente pour celui-là. Maintenant le gouvernement évalue à 40 millions la perte qu’entraînerait pour le trésor la réduction de l’impôt du sel et de la taxe des lettres, qu’il s’est engagé à opérer dans la prochaine session. Si le ministère maintient ses promesses, et si ses évaluations ne sont pas exagérées, le déficit qui nous menace monterait à 140 millions. Comment le compenser ou comment y résister ? Une pareille question est la plus difficile qu’aient à résoudre un ministère et des chambres. Il ne s’agit pas de parfiler des argumens, de flatter les intérêts ou les opinions d’une majorité,