Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/299

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moins vrai que, si les députés ont assailli les portes du ministère des travaux publics, c’est parce que, primitivement, le système des tronçons simultanés a été présenté, et celui des lignes successives écarté par le gouvernement ? Le principe de la justice distributive, c’est-à-dire celui d’un traitement égal dans des conditions différentes, remplaça le principe de l’intérêt public. Toutes les demandes des localités furent excitées et ainsi justifiées. L’administration des travaux publics, en faisant jalonner toutes les vallées et toutes les plaines, échauffa les imaginations ; elle eut encore le soin de présenter ses projets de lois à la fin des sessions, quand le zèle s’affaiblit périodiquement, et les groupa de façon à susciter dans le sein de l’assemblée des coalitions d’intérêts. Soit : la chambre des députés a poussé exagérément aux travaux publics. La chambre des pairs manifestait des dispositions contraires, et, au nom de l’intérêt politique, elle a été entraînée par le gouvernement. Je n’hésite néanmoins pas à le dire : les dépenses qu’on doit le plus regretter ne sont pas les dépenses productives, et, malgré toutes les fautes d’exécution, si la loi de 1842 avait, ainsi que l’a fait la loi de 1841, préparé des moyens financiers réels et sans danger, au lieu de ses deux ressources, dont l’une était illusoire et devait être employée ailleurs, — les réserves de l’amortissement, — dont l’autre était aussi précaire qu’illimitée, — la dette flottante, — les reproches seraient mal venus. D’ailleurs une seule chose pouvait arrêter l’impulsion des chambres, la connaissance exacte de l’état du trésor. Contre les demandes de travaux utiles, il n’existe qu’un frein, la nécessité financière. Lisez les discours de M. Lacave-Laplagne, ses exposés de motifs du budget, des crédits supplémentaires et des comptes : vous verrez que la chambre des députés, bien qu’elle ait eu des torts, n’est pas aussi coupable qu’on essaie de le lui persuader et qu’elle veut bien se le persuader elle-même. Pourquoi l’ancien ministre des finances n’a-t-il pas défendu l’argent du trésor avec la dixième partie de l’opiniâtreté qu’il a mise à maintenir ses chiffres erronés ? Pourquoi a-t-il craint d’exposer la vérité tout entière ? Serait-ce encore ici l’intérêt politique qui a dominé l’intérêt financier et nous a placés sous le coup de graves embarras pour le présent et pour l’avenir ?

Aucun état, pas même la France, ne peut supporter, sans s’exposer à perdre sa liberté d’action, une dette flottante disproportionnée et une émission de bons royaux inconsidérée. Une masse énorme de bons royaux exigibles en capital à courtes échéances placerait chaque jour le trésor à la merci des prêteurs et pourrait créer dans l’avenir de fâcheuses complications. En bonne finance, la dette flottante devrait se composer presque uniquement de ces fonds publics et privés dont l’état est le banquier nécessaire, qui s’alimentent d’eux-mêmes et se renouvellent naturellement. Les bons royaux sont un moyen de service, une