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n’ait agi, n’ait gouverné, et que le hasard conduise de droit les sociétés humaines. L’argument de l’impuissance est peu rassurant pour l’avenir, et quelle est donc la valeur de ces deux justifications si souvent présentées aux chambres sous des formes différentes pendant la dernière session ? Le budget de 1845 était en équilibre, la mauvaise récolte est de 1846 : c’est donc à elle qu’on doit attribuer les découverts, du budget ordinaire. Les électeurs exigeaient que leurs représentans obtinssent des chemins de fer ; les députés les demandaient aux ministres, ceux-ci les accordaient. Tout le monde est coupable, et personne ne saurait être responsable du développement des dépenses du budget extraordinaire.

Il est vrai, l’exercice 1845 a été définitivement réglé en équilibre, et les découverts des budgets suivans sont les conséquences des inondations et de la mauvaise récolte, à une condition toutefois : si le chiffre des budgets présentés depuis 1845 est semblable à celui de cet exercice, la mauvaise récolte a causé le déficit ; dans le cas contraire, si les dépenses ordinaires et prévues ont subi un notable accroissement, on doit surtout accuser l’imprévoyance des pouvoirs publics. Le projet de budget pour 1848, budget ordinaire, qui ne comprend ni les crédits supplémentaires et extraordinaires, ni les travaux publics, était de 92 millions supérieur au budget de 1845. Ce rapprochement à lui seul décide la question. L’accroissement du budget ordinaire a dépassé la valeur des dépenses causées par l’intempérie des saisons. Que durant trois ans seulement le chiffre du budget de 1845 eût été maintenu, l’état général de nos finances ne se serait pas ressenti du fléau des inondations et de la mauvaise récolte.

A partir de 1840, aucun budget ne fut présenté ou réalisé avec un véritable équilibre ; seulement, grace à l’accroissement inespéré des recettes, des produits plus abondans vinrent réparer une partie de nos fautes à mesure que nous les commettions, et dissimulèrent nos premières imprudences. Il s’ensuivit une sorte d’obscurité dans les conditions de l’équilibre de nos budgets. Déroutés dans toutes leurs prévisions par la progression inouie des recettes, les économes de profession eux-mêmes ont déserté la cause de l’équilibre ou modéré leurs efforts. Pour me servir des expressions de M. Lacave-Laplagne, on pensait que de l’argent il y en avait tant, qu’on ne saurait qu’en faire. Le gouvernement finit par croire qu’à la faveur de son système politique, on pouvait augmenter impunément les dépenses. Aujourd’hui le voile est déchiré ; un temps d’arrêt de deux ans dans l’accroissement des recettes, dans le développement des caisses d’épargne, ramène forcément au sentiment de la vérité financière : il faut payer un arriéré considérable, et, pour s’être trop long-temps bercé d’illusions, on a perdu le moment opportun de négocier un emprunt.