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quelques années d’expérience, les amis les plus zélés de la diffusion des lumières déclarent, les uns comme M. Villermé, que « l’instruction seule ne réprime pas plus les mauvais penchans qu’elle ne les développe ; » les autres comme M. Naville, « qu’entre les moyens préventifs de la misère, on avait au premier rang placé l’instruction, mais que les faits n’avaient pas répondu aux espérances que l’on était porté à concevoir. » Il faut donc chercher de nouveaux remèdes contre le vice ou la faim, et, tout en perfectionnant les méthodes, on laisse aujourd’hui l’instruction primaire poursuivre obscurément ses modestes destinées pour s’occuper de l’enseignement supérieur[1] ; mais ici encore la polémique s’est déplacée sans cesse. La croisade commence dans le journal l’Avenir, rédigé par M. de Lamennais ; vient ensuite la Société des droits de l’homme, qui, en 1833, réclame l’organisation de l’éducation publique, en se plaçant au point de vue de la convention nationale, en combinant Rousseau et La Chalotais. Jusqu’en 1839, il n’est aucunement question d’instruction religieuse ; mais alors le tocsin retentit tout à coup dans toutes les paroisses. On venait de découvrir dans l’université l’impiété et le panthéisme ; l’incendie s’alluma comme une traînée de poudre. Les jésuites ou plutôt le fantôme de leur ordre reparut à l’horizon. Des comités s’organisèrent, des pétitions furent signées, quelques-unes même par des abbés qui échangeaient leur nom véritable contre le titre de père de famille. Le nombre des pamphlets et des brochures, qui était de vingt-deux en 1843, dépassa cinquante en 1845 ; on eût dit qu’une révolution nouvelle allait sortir de la lutte. Après sept ans de combat, il en sortit un projet de loi, et les livres éclos de cette polémique sont aussi loin de nous déjà que les pamphlets du jansénisme, dont ils sont d’ailleurs dignes de tous points. Le dernier mot de la querelle cependant n’est pas dit encore. Quel qu’en soit le résultat, elle aura eu l’avantage de rappeler l’attention sur des problèmes dont on s’était détourné depuis long-temps. On a laissé aux évêques la spécialité du panthéisme en se demandant toutefois si l’enseignement universitaire, tel qu’il est aujourd’hui constitué, répond à tous les besoins de notre époque, et la lutte, déplacée de nouveau par les esprits sérieux, semble devoir porter désormais sur l’enseignement professionnel et agricole. La déclaration de guerre est partie cette fois de l’Académie des sciences, et M. Blanqui s’en est fait le héraut.

On le voit d’après ce qui vient d’être dit, l’économie politique mérite à plus d’un titre d’être comptée au premier rang des sciences progressives. Alliée à la philanthropie et à la morale, elle poursuit en même temps la solution des problèmes les plus importans qui se rattachent à l’organisation financière, industrielle, agricole, coloniale et administrative du pays[2]. Depuis 1830, elle a reçu

  1. Les ouvrages destinés aux écoles primaires forment l’une des branches les plus actives et les plus importantes de la librairie. En effet, sans compter les salles d’asile, fondées en 1801 par Mme de Pastoret et popularisées plus tard par M. Cochin, sans compter les ouvroirs, les colonies agricoles, les classes d’adultes, il existe en France près de 60,000 écoles publiques ou privées, fréquentées par 3,300,000 élèves environ, et le progrès est si rapide de ce côté, que, de 1840 à 1843 seulement, il a été établi 4,093 écoles nouvelles. On comprend qu’avec un public aussi nombreux la consommation soit grande. Les cacographies, les cours de thèmes français et les traités d’analyse se sont élevés à 90 en 1835 et à 66 en 1845.
  2. En 1842, nous trouvons 18 ouvrages ou brochures sur l’Algérie ; nous en trouvons 54 sur les chemins de fer en 1845 ; en 1843, 39 sur la question des sucres. La question vinicole, l’impôt sur le sel, l’introduction des bestiaux étrangers, etc., donnent un contingent de publications à peu près égal. Les questions économiques tiennent, après les questions politiques, le premier rang dans les discussions de la presse quotidienne. Enfin l’économie politique compte dans la presse périodique plusieurs organes spéciaux.