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écrivains se tournent alors vers d’autres problèmes, en laissant à la législature du pays le soin de chercher et de donner la solution. La question de l’esclavage, qui produit chaque année une dizaine de livres ou brochures, a été débattue avec une ardeur qu’on n’apporte que dans la défense des grands principes moraux ou politiques. Catholiques, protestans, radicaux, conservateurs, tout le monde aujourd’hui est abolitioniste ; mais le débat n’est pas encore vidé, tant est puissante la résistance passive des intérêts mis aux prises avec la morale.

Quant à la question du paupérisme, elle a traversé en peu d’années des phases bien diverses. Dans les derniers temps de la restauration, le débat roule tout entier sur l’extinction de la mendicité, et la société cherche moins à soulager la misère qu’à se défendre contre elle, ou à l’oublier en la rejetant dans l’ombre. A la révolution de juillet, une réaction s’opère par la politique. Le parti républicain s’empare du paupérisme, qu’il transforme en prolétariat pour s’en faire une arme utile à la cause qu’il sert. Les ouvriers prennent la plume et se mêlent à la lutte. Les tailleurs, les cordonniers et les typographes, qui formaient alors les corps de métiers révolutionnaires, marchent à l’extrême avant-garde ; on publie des brochures sur la fédération de tous les ouvriers de France, et les Révélations des garçons boulangers sur la misère des travailleurs. Vers 1835, la polémique est amortie et même suspendue par les nombreuses défaites du parti républicain ; vers 1840, elle reprend avec une ardeur nouvelle, et se bifurque en quelque sorte dans le parti populaire lui-même en deux écoles aboutissant, l’une au communisme, l’autre à l’association des intérêts entre l’ouvrier et le maître. Cette dernière école a pour organe le journal l’Atelier, fondé en 1840, et rédigé par un jury qui se composait à cette date de cinq typographes, d’un sculpteur sur bois, d’un tailleur, d’un serrurier, de deux teneurs de livres, d’un chapelier, d’un fondeur, d’un dessinateur, d’un charpentier et d’un mécanicien. Comparé aux publications du même genre faites en 1832, 1833 et 1834, l’Atelier marque un véritable progrès dans les idées des classes laborieuses. Ce journal trouvera sans doute des contradicteurs en ce qui touche ses théories d’association en vertu desquelles le maître serait tenu de fournir aux ouvriers les instrumens du travail et de partager avec eux les bénéfices ; mais on ne peut que louer la manière élevée dont il traite les questions morales, le soin avec lequel il cherche à nourrir chez le travailleur le sentiment de sa dignité, la haine du vice, à déraciner l’habitude du lundi, et surtout sa constante opposition aux doctrines communistes. En voyant ainsi les classes laborieuses proclamer leur avènement dans l’économie sociale, les esprits sérieux ont compris que le seul moyen de régulariser ce mouvement et de le rendre pacifique et profitable pour tous, c’était de s’y mêler. Le paupérisme, l’organisation du travail, sont aujourd’hui l’objet favori des études économiques, et l’année 1845 a vu naître sur ce sujet 26 ouvrages.

Exploitée par les partis après l’avoir été par les philanthropes, la question de l’instruction publique, comme celle de l’organisation du travail, a subi depuis vingt ans plus d’une vicissitude. Sous la restauration, l’attention se tourne vers l’instruction primaire, qui alors était regardée comme la meilleure sauvegarde des libertés publiques, comme le plus sur remède contre la misère. On combat pour l’enseignement mutuel comme aujourd’hui pour la liberté absolue. La loi le 1833 réalise en partie les vœux des philanthropes et des libéraux ; mais, après