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plus grande somme de bonheur, telle est ou telle doit être la mission des écrivains dont nous venons de nous occuper. Utiliser par l’industrie toutes les forces de la nature, assurer le bien-être de chacun par le travail et l’ordre régulier de la vie, la puissance du pays par la richesse, la stabilité du gouvernement par la satisfaction de tous les intérêts, tel est le but des économistes. Science nouvelle, entrevue par le XVIe siècle avant d’avoir été nommée, l’économie politique a pris dans ces derniers temps un développement immense ; elle a ses journaux, ses encyclopédies, ses manuels, ses chaires de facultés, son histoire. Long-temps abandonnée aux philanthropes, aux rêveurs, perdue dans les discussions purement théoriques, elle a suivi la marche de toutes les sciences contemporaines ; elle est entrée franchement dans la voie de l’expérience, et aujourd’hui elle va droit aux applications.

Comme la philosophie, l’économie politique se divise en trois écoles : l’école catholique, l’école utilitaire administrative, l’école révolutionnaire. L’école catholique, qui a pour chefs MM. de Coux et de Villeneuve-Bargemont, donne le dévouement pour base aux rapports sociaux. Elle veut conduire l’homme au bien-être par l’accomplissement du devoir, lui imposer le travail comme une épreuve qui, dignement supportée, trouve sa récompense dès cette vie, et, en s’appuyant sur la charité, elle emprunte à son principe même une incontestable élévation. L’école utilitaire administrative, représentée par des industriels, des professeurs du haut enseignement, des membres des deux chambres et du conseil d’état, remonte, d’une part aux économistes du XVIIIe siècle, de l’autre aux écrivains de l’école anglaise. L’école révolutionnaire, qui se rattache directement aux millénaires, aux illuminés, à ces utopistes du moyen-âge dont Campanella était l’un des messies, s’est partagée depuis quinze ans en une infinité de branches, et elle a parlé tour à tour au nom de Saint-Simon, de Fourier, au nom des humanitaires et des communistes. L’école catholique et l’école utilitaire administrative, tout en cherchant le progrès, acceptent l’ordre établi dans la société, et donnent pour point de départ à leurs théories les instincts, les passions, les vices même de l’homme. L’école révolutionnaire, au contraire, fait table rase de tout ce qui est ; elle ne cherche point à amoindrir le mal, mais à le supprimer, et elle crée, pour ainsi dire, un monde nouveau.

Quel que soit le système auquel ils appartiennent, les économistes ont été depuis quinze ans d’une fécondité inépuisable. Chaque question nouvelle qui s’est présentée a été l’objet de nombreuses brochures qui se sont produites comme par explosion. Les prisons, l’esclavage, le paupérisme et l’éducation publique ont surtout appelé l’attention.

La question des prisons fleurit principalement de 1834 à 1840. Le titre de réformateur des bagnes ou des maisons de réclusion constitue une profession libérale comme celle d’avocat, gouvernementale comme celle de préfet. On voyage aux frais de l’état pour visiter les détenus, comme Anacharsis voyageait à ses frais pour visiter les sages de la Grèce. Quinze volumes ou brochures paraissent chaque année sur ce sujet, et, dans le nombre, nous trouvons les Idées d’un forçat libéré sur la réforme pénitentiaire ; mais tout à coup, après huit ou dix ans de discussions et d’essais, on s’aperçoit qu’il est difficile d’imposer le repentir, qu’il vaut mieux prévenir la chute que de tenter la rédemption, et que les voleurs et les forçats ne réalisent pas toutes les espérances qu’on avait conçues. Les