Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/278

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Grâce à la publicité donnée par la presse aux affaires portées devant les tribunaux, il est encore, dans la bibliographie du droit, une section importante très goûtée du public, et qu’on peut appeler la littérature judiciaire. Cette littérature offre, sur le mouvement des idées, des indications qui sont véritablement du domaine de l’histoire ; consultons par exemple, de 1832 à 1834, les dossiers des procédures politiques. À cette date, chaque année donne au moins deux cent cinquante pièces. Ici des vicaires, devenus capitaines de la garde nationale, plaident contre leurs évêques pour avoir droit de prendre femme ; là des saint-simoniens proclament la commandite matrimoniale et l’avènement du dieu père et mère communiant avec les hommes par l’amour céleste, et calmant ou réchauffant tour à tour, par l’entremise de la femme, les passions surexcitées ou engourdies. Les légitimistes et les républicains sont côte à côte au banc des accusés. La Tribune en est à son quatre-vingt-sixième procès. Journalistes, membres des sociétés secrètes, soldats de l’émeute, écrivains et prolétaires, viennent tour à tour à la barre défendre leur cause et leurs doctrines, avec quelle violence, on s’en souvient, et s’abriter sous le patronage des noms les plus redoutables de 93. Pour un grand nombre de ceux qui sont en cause, il s’agit d’accusations capitales ; et, en présence de ces associations, de ces pamphlets, de ces réquisitoires menaçans, de ces plaidoyers passionnés, on se demande comment un gouvernement pressé par tant de dangers pourra se tenir debout. Consultons de nouveau, après dix ans, le dossier des procédures politiques. Dix ans, c’est un long espace dans la vie d’un homme ; c’est un espace encore plus long dans la vie d’un peuple comme le nôtre. Cette armée du républicanisme, qui comptait de si vaillans soldats, s’est dispersée tout entière. Parmi ses chefs, quelques-uns se sont réfugiés dans l’étude, et ce n’est plus dans la bibliographie de la politique, mais dans celle de la littérature, de la poésie, du roman même, qu’il faut chercher leurs noms. Les complots contre la sûreté de l’état ont fait place à de simples délits de presse, et, au lieu de ces causes retentissantes qui, en 1832, 1833 et 1834, tenaient en émoi le pays entier, nous trouvons en 1845, dans les procédures qui se rattachent à des questions d’intérêt public, quatre brochures sur le péage des ponts de Paris. Aujourd’hui une nouvelle espèce de causes semble se produire ; le gouvernement n’a plus à se défendre contre ceux qui l’attaquent, mais contre ceux qui le servent et le compromettent.

La littérature, comme la politique, a des dossiers nombreux dans la procédure contemporaine. Cliente assidue des avoués, elle a laissé les huissiers faire irruption dans son domaine, et de nombreux débats entre les écrivains et les éditeurs ont initié le public, en le scandalisant parfois, à tous les secrets de ce qu’on appelle la boutique. On a publié, dans le XVIIIe siècle, un livre piquant, les Querelles littéraires ; on pourrait publier aujourd’hui, comme appendice, les Procès des gens de lettres. L’histoire de la lutte des vanités se compléterait ainsi par l’histoire de la lutte des intérêts.