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la branche de librairie qui nous occupe a pris depuis dix ans un développement nouveau par la grande quantité d’associations pieuses qui se sont établies tant à Paris que dans les provinces, et pour lesquelles il a été fait, ainsi que pour les couvens, un nombre considérable de livres spéciaux. On pourrait se croire parfois au cœur même des âges mystiques en parcourant le catalogue de ces livres où figurent le Cérémonial des sœurs augustines, le Saint rosaire vivant, le Vestiaire des vierges, la Messe du précieux sang, le Coutumier du monastère de l’Annonciade céleste, les Neuvaines de la sainte robe, etc.

Si nous arrivons maintenant à la liturgie que nous avons appelée mondaine et qui parle français, nous rencontrons, parmi les auteurs des recueils de prières ou de cantiques, d’une part des femmes, de l’autre des abbés. Les femmes s’adressent aux ames tendres qui demandent un Dieu comme une jeune fille un premier amour, et souvent leurs livres sont signés de noms qu’on retrouve, dans le Livre rose ou le Journal des Modes, au bas d’une nouvelle de coeur, ou d’un premier-Paris sur les magasins de nouveautés. La foi n’est là qu’un caprice, et Mmes de Lamartine et de Duras ont seules dans ce groupe mystique trouvé des accens vraiment dignes de l’ascétisme chrétien. Les abbés s’adressent principalement aux affiliés des associations pieuses, aux jeunes filles qui suivent les stations du mois de Marie, et l’on peut dire que, sous le rapport de la poésie, les cantiques modernes sont loin des noëls du vieux temps. Ajoutons cependant que quelques éditeurs de cantiques spirituels ont compris combien ces pauvretés littéraires étaient compromettantes auprès des esprits sérieux. Reconnaissant que l’inspiration n’est pas moins rebelle que la grace, ils ont pris le parti de l’emprunter à ceux qui l’avaient trouvée, et on amis en musique, pour l’usage des associations de piété, quelques-unes des odes de M. de Lamartine et la Prière pour les petits enfans, improvisée dans une école de village. C’est là certes, parmi tant d’autres triomphes, un triomphe flatteur pour le grand poète que de donner ainsi aux fils du pauvre des hymnes pour converser avec Dieu.

A la suite de la liturgie viennent se placer les apologistes, c’est-à-dire les écrivains qui défendent la vérité du christianisme et qui cherchent à la prouver, soit par la démonstration philosophique, soit par l’histoire, soit par la science. La production de cette série a été très nombreuse, et elle a porté principalement sur les écrivains de la primitive église et du moyen-âge, se rattachant ainsi non pas seulement au mouvement théologique, mais à l’histoire et à la philosophie. Vers 1836, les frères Gaume et M. l’abbé Migne, fondateur de l’imprimerie catholique du Petit-Montrouge, la plus active peut-être de toutes les imprimeries, parisiennes, commencèrent la série complète des écrivains chrétiens, et donnèrent, en fait d’ancienne littérature ecclésiastique, de très estimables éditions qui se répandirent sur tous les marchés de l’Europe. On a même, dans ce genre d’entreprises, poussé la témérité jusqu’à publier, sous le titre de Patrologioe cursus completus, une collection d’écrivains ecclésiastiques qui ne formera pas moins de 200 volumes in-4o. Les éditeurs ne surent point s’arrêter à temps ; ils exhumèrent des livres que le moyen-âge a profondément marqués de l’empreinte de son ignorance et de sa barbarie, et qu’il eût été prudent de laisser dormir dans leur tombe, par exemple la Légende dorée de Jacques de Vorage, que déjà les catholiques du XVIe siècle avaient mise à l’index comme un ramas de fables qui outrageaient à la fois la religion et la raison humaine.