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des meilleurs critiques de l’Allemagne, M. Adolphe Stahr, ne craint pas de placer cette pièce au premier rang dans le théâtre de M. Gutzkow. Pour moi, je ne pense pas manquer à la sympathie que commande l’activité du poète en déplorant cet inutile emploi de sa verve et de son talent.

Le jour où M. Gutzkow se décidera à suivre la direction naturelle de son esprit, il produira des œuvres très distinguées. Il l’a prouvé déjà dans certaines scènes de Patkoul, il l’a prouvé surtout dans la Queue et l’Épée. Nous arrivons enfin au chef-d’œuvre de M. Gutzkow. La Queue et l’Épée est une de ces comédies politiques, un de ces tableaux animés, ingénieux, plaisans, comme l’auteur de Patkoul en fera toujours avec succès, s’il sait mettre à profit ses vives et brillantes facultés. Nous sommes à Berlin, dans la première moitié du XVIIIe siècle, et c’est la cour de Frédéric-Guillaume Ier que le poète va nous peindre avec cette verve hardie et spirituelle qu’il manie si bien. Le sujet est parfaitement choisi ; c’est un excellent théâtre pour la raillerie de M. Gutzkow que cette cour bizarre, gouvernée, disciplinée, alignée militairement par un roi qui a passé sa vie à jouer aux soldats. A une époque où tous les souverains du Nord prenaient modèle sur Louis XIV et tâchaient de reproduire l’éclat et la solennité de sa cour, le père de Frédéric-le-Grand se faisait gloire d’être le premier caporal de son armée. Aligner de vigoureux grenadiers, s’enivrer du bruit du tambour, le soir fumer sa pipe dans une tabagie cachée au fond des appartemens secrets et qui n’admettait que les familiers du prince, c’était le bonheur de Frédéric-Guillaume. Aussi fidèle à la queue poudrée du bourgeois allemand qu’à l’épée du soldat, il voulait être l’idéal parfait du véritable Prussien. Voilà un type comique autour duquel se grouperont d’une façon plaisante les événemens politiques et les affaires d’état. Au fond de ce tableau, faites apparaître la jeune et ardente figure de celui qui sera un jour le grand Frédéric, et amenez au milieu de cette cour bourgeoise et militaire une intrigue diplomatique ; vous aurez une œuvre certainement très piquante et très originale, pour peu que M. Gutzkow lâche la bride à sa verve moqueuse. C’est ce qu’il a fait, et jamais il n’a mieux réussi. De quoi s’agit-il ? quelle est l’intrigue qui va se débrouiller ici ? La reine veut marier sa fille, la princesse Wilhelmine, au prince de Galles, son neveu, et le roi espère la donner au fils de l’empereur d’Autriche, l’archiduc Léopold. Cependant un jeune homme vient d’arriver à la cour, qui prétend battre et le prince de Galles et l’archiduc d’Autriche. C’est un bien mince seigneur, il est vrai, il s’appelle tout simplement le prince héréditaire de Bayreuth, mais il aime la princesse et il est aimé d’elle ; de plus, l’esprit ne lui manque pas, et n’est-il pas soutenu par le prince royal de Prusse, par le jeune Frédéric, qui, du fond de son exil, surveille son père et combat sa tyrannie domestique ? C’est cette lutte des trois jeunes gens contre le vieux roi qui