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EINSIEDEL. — Voici la lettre du roi.
PATKOUL, prenant la lettre. — Encore la couronne de Pologne pour cachet ! Écoutez la vérité, princes, et vous ne perdrez jamais de couronnes ! (Il brise le cachet.) « Mon cher monsieur de Patkoul, vous savez quelle confiance j’ai toujours eue dans la sagacité de votre esprit. Je vous le demande aujourd’hui sur l’honneur, faut-il renoncer à toute espérance ? Une fois la paix conclue, quelle politique me conseillez-vous pour que je puisse renouveler plus tard mes justes prétentions sur la Pologne ? Dressez-moi un tableau de mon pays ! Entouré de flatteurs, aucun rayon de lumière n’éclaire à mes yeux les choses telles qu’elles sont, et cependant c’est mon désir sérieux, sacré, de connaître les lâches exécuteurs de ma volonté et les oppresseurs de mon pays ! J’attends de vous, dans la langue des chiffres dont vous avez le secret, un mémoire sur la Saxe, sur la Pologne, sur tout ce qui se rapporte et à la couronne que j’ai perdue et à ma souveraineté électorale. Il faut que je sache comment je puis conquérir de nouveau ce que je suis forcé de perdre en ce moment. La Livonie… »
EINSIEDEL, voulant l’empêcher de lire davantage. — Patkoul, donne-moi la lettre ! Rien ne t’oblige à devenir la victime de ta franchise.
PATKOUL, continuant avec enthousiasme. — « La Livonie a mon serment : je jure sur la vie de la délivrer du joug de la Suède. Marchons tous deux, en nous tenant par la main.

« FRÉDÉRIC-AUGUSTE,
« Aujourd’hui vaincu, mais non découragé. »

EINSIEDEL. — Eh bien ! Patkoul, tu oseras ?…
PATKOUL. — Je le veux. La Livonie m’a fait naître dans une prison, la Livonie m’a donné des chaînes, la Livonie m’a fait monter les degrés de l’échafaud…
EINSIEDEL. — Patkoul, je t’en conjure.
PATKOUL. — O ma Livonie ! petite tache verte sur le sein de la Baltique ! c’est là que la vague se brise en gémissant sur la dune ! Qui connaît ce pays ? Personne sans doute, et c’est pour eux seuls que les bouleaux et les tilleuls embaument l’air… Qu’importe ? je ne serai pas venu inutilement ici sous ce costume russe. C’est moi que le choix de mon pays a désigné autrefois ; des milliers d’hommes espèrent en moi pour briser leur joug… Je les entends… ils me chantent tout bas la vieille chanson du pays :

Le bouleau pleure par toutes les fentes de son écorce.

EINSIEDEL. — Tu rêves, Reinhold !
PATKOUL. — Rêver pour la liberté, c’est croire au ciel ; rêver pour la liberté, c’est veiller pour l’éternité. Il s’agit du sort de la Livonie ! — J’écrirai… oui, j’écrirai le mémoire ! (La toile tombe.)


Ainsi, vous le voyez, cet infatigable personnage dont toute la vie n’est qu’une guerre à outrance avec l’impossible, nous est représenté ici dans des conditions telles que c’est pour lui une véritable témérité d’écrire ce mémoire, où il dénonce la vénalité d’un ministre. C’est là toute la part qu’il prend à tout ce qui se passe sous nos yeux ; supprimez ce point, le voilà inutile dans ce drame, qu’il pourrait remplir à lui seul. On voit les ministres, dévoilés par le héros, conspirer dans