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fardeau de ses mauvais systèmes. Comment l’en blâmer ? c’est le théâtre, précisément qui fera son éducation, c’est la pratique d’un art sérieux qui redressera son esprit faussé. On peut bien, durant les nuits solitaires, s’exalter à froid et s’entêter par orgueil dans de funestes théories ; mais, quand on s’adresse à la foule assemblée, on se surveille plus rigoureusement, et peu à peu, avant de s’en apercevoir, on est devenu sincère avec soi-même. M. Gutzkow aimait à représenter des esprits inquiets, maladifs, en révolte ouverte contre la société, et sa philosophie était celle-ci :

… Je vis les hommes, et j’en pris
En haine quelques-uns, et le reste en mépris.


Disposition excellente peut-être chez un héros ténébreux, mais détestable assurément pour un poète dramatique. Tous les artistes qui ont fait agir et parler les hommes dans des compositions immortelles, Molière, Shakespeare, n’étaient pas dupes du genre humain ; qu’il y a loin de là cependant à le haïr et à le mépriser ! quelle sollicitude, quelle compassion sérieuse se mêlait chez ces grandes ames à une sagacité supérieure ! combien c’étaient là des natures sympathiques et profondément humaines ! Mais on ne débute pas par ce qui est le comble de l’art, surtout quand on a été presque le chef d’une émeute socialiste ; il faut payer le tribut aux inspirations douteuses, il faut traverser les landes et les marais.

M. Gutzkow du moins fit cette épreuve avec assez de bonheur. Richard Savage est un drame intéressant, et si l’on n’admet pas le ton général de l’ouvrage, s’il en faut blâmer sévèrement la composition systématique, on ne saurait méconnaître les qualités distinguées qui s’y font jour çà et là. Il y avait d’ailleurs des tentations bien périlleuses dans le sujet que M. Gutzkow a choisi. Ce jeune poète renié par sa mère semblait provoquer la verve irritable de l’auteur de Néron, et il était bien difficile qu’il échappât aux déclamations. J’aurais mieux aimé que M. Gutzkow ne séparât pas les personnages de son poème en deux classes si distinctes, qu’il ne mît pas en face les élus et les réprouvés, qu’on ne vît pas d’un côté le poète, les journalistes, les comédiens, tout le libre et vertueux peuple de la Bohême, de l’autre les grands seigneurs et les grandes dames de l’aristocratie de Londres. Ces colères systématiques sont singulièrement froides et compassées. Aussi, voyez la punition de cette vilaine idée ! voyez comme l’auteur est pris dans son piège ! Il a voulu donner à la lutte qu’il décrit une physionomie plus dramatique, et tout au contraire il a affaibli son sujet. Lady Maccleady est moins coupable, si la société qui l’entoure mérite la même condamnation, et Richard Savage est-il vraiment noble parce qu’il appartient à une caste privilégiée chez qui seule se trouvent la loyauté et