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irritée. Divisés dans le monde réel, ils se réconciliaient dans le pur domaine des esprits. Que ce soit là l’éternel honneur de Schiller ! Ce magnifique résultat est le plus glorieux titre de celui qui a écrit Wallenstein.

Une fois que la main des maîtres se fut retirée, on retomba en un instant dans les œuvres de pacotille et dans les rêveries absurdes. L’école romantique n’a pas seulement suscité des natures fines, subtiles, comme Tieck et Novalis, comme Frédéric Schlegel et Wackenroeder, elle a troublé les esprits et produit chez plus d’un écrivain d’incroyables mélanges. Excité par la fumée des légendes et très peu hostile cependant à la réalité la plus grossière, Zacharias Werner porta au théâtre la fougue désordonnée de son mysticisme sensuel. Les hallucinations qui hantaient ce cerveau fantasque pénétrèrent jusque dans les sévères sujets qu’il empruntait à l’histoire moderne. A côté de lui, Adam Müllner, Houwald, Grillparzer enfin dans de certaines pièces, continuèrent d’énerver la poésie et cherchèrent dans les drames fatalistes un aliment aux émotions du public. Cette muse virile, qui doit élever l’ame et redresser son courage, fut condamnée à effrayer l’intelligence de l’homme, à l’obséder de visions malsaines, à faire revivre pour le monde nouveau les puissances démoniaques qui régnaient sur l’imagination effarouchée du moyen-âge. Le mysticisme conduit souvent au sensualisme, l’histoire l’a prouvé plus d’une fois, et l’école romantique a donné de ce fait une démonstration piquante ; ses derniers représentans sont allés rejoindre les chefs de l’école bourgeoise ; Houwald et Müllner lui-même ne sont pas très éloignés de Kotzebue.

Tel fut le prompt abaissement de la poésie depuis Schiller. Les événemens seuls pouvaient apporter le remède, et, fortifiant la conscience publique, agrandir par là les destinées de l’art. C’est après la guerre de 1813, après la réunion des membres dispersés de l’Allemagne, que le théâtre commença, non pas encore à refleurir, mais à occuper l’attention des esprits d’élite. C’est un heureux signe quand on sent son mal et qu’on en souffre. Les intelligences distinguées n’ignoraient pas la cause de cette décadence précoce du théâtre, et un des plus dignes publicistes contemporains, Louis Boerne, consacrait volontiers à la critique dramatique cette plume excellente qui a rendu tant de services à la liberté. En faisant cela, il croyait ne pas changer de sujet, et je m’assure qu’il avait raison. La critique de Boerne peut être comparée sans trop de désavantage à celle de Lessing. C’est la même ardeur, le même désir de régénérer la scène, ce sont surtout les mêmes principes. Boerne sait encore mieux que Lessing combien la gloire du théâtre suppose une vie forte et puissante chez le peuple qui la produit. Cette idée, qui éclate comme un trait de lumière dans les dernières pages de la Dramaturgie de Hambourg, fait le fonds même de l’esthétique de Louis Boerne. Il