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Wieland fondait sur Kotzebue les plus grandes espérances, et Jean-Paul, cet admirable Jean-Paul, dont l’ame était si profondément poétique et le goût si mélangé, n’a-t-il pas osé le comparer à Molière ? Je ne puis m’empêcher en passant de signaler aux Kotzebue qui abondent chez nous depuis une dizaine d’années le sort mérité qui les menace. Kotzebue a écrit plus de deux cents drames ou comédies, sans compter les livres, les mémoires, les romans, les journaux sous lesquels il a noyé l’Allemagne ; il a obtenu l’admiration de la foule et l’estime de quelques natures d’élite ; ses pièces ont été représentées sur tous les théâtres de son pays et traduites dans toutes les langues de l’Europe ; il était, en un mot, ce que sont aujourd’hui les princes et les maréchaux de notre littérature courante. Eh bien ! quel a été pour l’écrivain le salaire de toutes ces œuvres entassées pêle-mêle et que n’éclaira jamais un rayon de l’idéal ? Le mépris de son pays et le discrédit universel.

Du vivant même de ce producteur si fêté, la réaction fut vive. Tandis que Kotzebue et ses amis faisaient la joie d’une bourgeoisie prétentieuse, une école se forma qui voulut venger l’idéal, et tomba dans des erreurs nouvelles. C’étaient des esprits enthousiastes, subtils, que la poésie exaltait, mais qui en connaissaient bien mal les conditions sévères ; en haine de ce théâtre banal qui leur répugnait si fort, ils en vinrent à mépriser toutes les exigences de la réalité. Kotzebue et Iffland se préoccupaient de la scène sans avoir souci de la poésie ; Tieck, et avec lui toute l’école romantique, crut venger la poésie en dédaignant la scène. C’est Tieck, en effet, qui a été long-temps le chef de cette école romantique, bien peu connue en France, et qui n’a guère d’autre ressemblance que celle du nom avec notre romantisme de 1825. Il avait commencé par de petites comédies satiriques où le public de Kotzebue est ingénieusement persifflé. Il aimait à montrer quelque noble amant de l’idéal égaré, dépaysé dans des régions subalternes, ou bien, nouveau contraste, c’était un esprit bourgeois dans une société dont il n’est pas digne, comme le grossier Puck dans les féeriques jardins de Titania. L’ingénieux poète tirait de ces oppositions piquantes de vives et curieuses leçons qui allaient parfaitement à leur adresse et pouvaient préparer à merveille l’éducation du public. Quelle finesse dans le Prince Zerbin ! Quelle critique charmante dans Octavien et le Chat botté ! En même temps, il opposait Shakespeare et Calderon aux plates inventions qui encombraient le théâtre, il commentait les deux maures et voulait faire briller aux yeux de la foule le type divin d’une poésie supérieure. Rien de mieux jusque-là ; mais l’école romantique se livra bientôt aux fantaisies et aux chimères, et, ne se sentant pas assez forte pour traiter résolûment le difficile problème de la régénération du théâtre, elle aima mieux se perdre dans le mysticisme. Novalis venait de jeter au milieu des intelligences éblouies les clartés sublimes