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disposés à la guerre et à la conquête, n’ont pas cessé d’être provoqués, harcelés par les chrétiens au nom du principe chrétien, depuis les croisades du moyen-âge jusqu’à la bataille de Navarin et à l’invasion de l’Algérie. Oui, l’islamisme à peine naissant a pris l’épée, mais contre les idolâtres. Entraîné par l’appât de la gloire, il a quelquefois dépassé son but ; cependant, au bout du compte, s’il est venu s’établir en Europe, s’il a combattu les chrétiens, c’est que nous sommes allés le chercher en Asie. On pourrait aller plus loin et examiner s’il n’est pas historiquement certain que la tolérance, cette vertu toute récente dans nos pays, est depuis des siècles pratiquée par les musulmans. Les Turcs, par exemple, ont-ils essayé de convertir une seule tribu chrétienne en. Europe ? N’ont-ils pas au contraire laissé à tous les peuples conquis leur religion et leurs lois ? Le reproche de propagande adressé à l’islamisme est donc une calomnie de l’histoire contre laquelle tous les faits protestent. Et pour conclure, on pourrait encore invoquer en témoignage cette déclaration rigoureusement juste d’un poète polonais, M. Mickiewicz, parlant au nom des Slaves de l’empire ottoman : « De tous les territoires acquis aux étrangers, le plus heureux, c’est celui que gouvernent les Turcs,… et les Slaves leur doivent une véritable reconnaissance. »

L’islamisme, véritable hérésie chrétienne, ne prêche pas seulement la tolérance, il prêche l’égalité. L’affirmation semble étrange, et pourtant rien n’est plus exact. Un vieil auteur italien appelait la Turquie une démocratie. Tous les pays musulmans qui n’ont rien emprunté aux institutions de l’Occident sont en effet dans l’état de démocraties gouvernées par des monarchies tempérées. L’autorité du chef ou sultan, à la fois politique et religieuse, est limitée par des corps politiques et religieux sans lesquels il ne peut rien ni au dedans ni au dehors, et tous les sujets sont égaux devant la loi. Il n’y a point entre eux d’autre distinction que celle des grades et des fonctions, et la fortune ou la naissance n’y compte pour rien. Mais l’esclavage ? dira-t-on. A proprement parler, il n’en existe point, car ce que l’on appelle esclavage chez les musulmans est une sorte d’adoption qui ne détruit point l’égalité. Reste la polygamie, le grand sujet d’accusation contre les législations sorties du Loran. On est obligé de reconnaître que la polygamie existe en principe sous le régime de l’islam ; mais on peut nier qu’elle existe réellement comme un fait social. Chacun sait les obligations de fortune que le prophète impose au croyant qui veut profiter de toute la latitude de la loi sur le mariage. Dans ces derniers temps, les mœurs en ont encore restreint les effets, et en Turquie on compte à peine aujourd’hui trois cas de polygamie sur une population de cent mille musulmans.

On pourrait prendre ainsi tous les points de la législation politique et civile de ces peuples, montrer combien elle est loin de répondre aux idées si légères que l’on s’en fait, et il deviendrait clair pour tous les esprits droits que nous ne sommes point séparés des Arabes par des lois incompatibles et inconciliables avec les nôtres. La différence, car il y en a une cependant, n’a donc pas le caractère qu’on lui attribue, et, sauf erreur, c’est simplement la différence de l’enfant à l’homme, des institutions primitives à des institutions savantes, de la notion de famille et de tribu à la notion de société et d’état, et surtout de la vie militaire à la vie civile.

C’est de l’application du régime militaire au gouvernement des sociétés que viennent toutes les misères et tous les désordres dans lesquels sont encore