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élégie, et n’a conjuré ses amis de venir répandre des fleurs et des larmes sur sa tombe ? Nous sommes tous un peu coupables de ce péché-là ; c’est le destin commun, et M. de Gaillon, l’auteur des Oiseaux et les Fleurs, le dit agréablement :

C’est le destin commun,
La fleur à son matin et l’ame en sa jeunesse
Exhalent toutes deux, celle-ci sa tristesse,
Et l’autre son parfum.

Si c’est le sort de tous, si, par une de ces étranges contradictions dont le cœur humain semble formé, nous devons éprouver d’inexplicables langueurs à l’âge où toutes les joies nous convient, et si, pour rencontrer des accens énergiques et joyeux, le poète doit attendre l’heure des peines véritables et de la lassitude, encore une fois soyons indulgens et passons quelques larmes à cette trop heureuse jeunesse que vient surprendre le premier baiser de la mélancolie. Pour moi, je me sens pris souvent d’une secrète sympathie pour ces petits livres dédaignés que l’oubli attend, et où pourtant est renfermée la meilleure part d’un jeune cœur. Je prends aisément en grande pitié les angoisses d’un début, et quand je vois un jeune poète effeuiller avec tendresse ses plus chères pensées, les livrer, ainsi que des feuilles de saule, au torrent redoutable et suivre d’un œil inquiet leur course rapide, je voudrais pouvoir sauver quelques débris du naufrage.

Ce n’est pas au livre de M. de Gaillon, je me hâte de le dire, que peut s’appliquer cette pensée de sauvetage. Il y a, dans ce petit volume, assez de qualités aimables pour conjurer la tempête. Amant passionné de la nature, le jeune poète a su se préserver d’un travers commun aux écrivains qui débutent, le travers de l’imitation. Il s’est choisi une place à l’écart, dans une forêt ombreuse où les oiseaux gazouillent, où murmure un clair ruisseau, d’où l’on aperçoit une grande prairie éclairée par le soleil, pleine de parfums et de bourdonnemens ; dans le silence des champs, il écoute ce que les fleurs soupirent et ce que chantent les oiseaux, car, il le dit très bien,

Les fleurs ont un langage, heureux qui le comprend !


De là ce livre modeste par le titre, par le genre, par le format. M. de Gaillon n’a pas de prétentions. S’il réussit, la gloire en appartient tout entière à la nature, dont il a cherché à surprendre et à traduire la langue inintelligible pour tant d’autres. Avant d’arriver à cette douce philosophie, à cette profonde et délicate contemplation des choses qui nous entourent, M. de Gaillon a pu payer comme tout le monde son tribut à l’élégie larmoyante ; mais il s’est aperçu un beau jour qu’en définitive son cœur ne demandait qu’à aimer, et que la Chute des feuilles n’était pas à refaire ; il a laissé cette littérature de poitrinaire à de plus malheureux que lui. Il aima, j’imagine, et tout aussitôt la joie le reprit, et un hymne s’est élancé de son ame. La manière de M. de Gaillon est simple et facile. Il ne faut chercher dans son volume ni des accens bien mâles ni des tableaux bien éblouissans ; mais aux fleurs et aux oiseaux on ne saurait tant demander. En résumé, ce petit volume est aimable et gracieux. Il contraste si agréablement avec les œuvres bruyantes qui éclatent de tous côtés, qu’il nous a paru mériter une mention particulière. Au temps où nous sommes, de pareilles poésies, un peu féminines, si cela peut se dire, ne conduisent pas à la célébrité ; elles passent