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des révoltés pour les ramener dans le devoir ? Le caractère sacré du pontife et la vénération qui entoure sa personne ne permettraient qu’à lui seul de tenter une semblable démarche, qui, en sauvant l’honneur du souverain, mettrait un terme à la guerre civile, préparerait le gouvernement napolitain à un système de réformes et consacrerait l’influence modératrice du saint-siège sur toute la péninsule.

L’Espagne est le pays où les situations fausses se perpétuent le plus aisément. La politique, telle qu’on la conçoit et qu’on la pratique malheureusement au-delà des Pyrénées depuis long-temps, a tous les caractères d’une crise continuelle ; c’est une politique au jour le jour ; toutes les violences, toutes les ambitions y trouvent place, et cet esprit de désordre est tellement puissant encore en Espagne, qu’il peut se produire, s’emparer du gouvernement même, sans qu’il faille trop s’en étonner. À nos yeux, le ministère actuel, qu’on est parvenu enfin à compléter en y introduisant deux modestes nullités politiques, n’est point autre chose qu’un des plus tristes épisodes de cette crise chronique qui travaille la Péninsule. Ce ne sont pas MM. Goyena et Cortazar qui peuvent changer pour nous la signification de ce cabinet, dont M. Salamanca est l’ame. Certainement ce ministère restera dans l’histoire constitutionnelle de l’Espagne comme le type des ministères de hasard. C’est tout ce qu’il faut pour faire croire aux étrangers qu’il y a un gouvernement au-delà des Pyrénées ; le cabinet Salamanca remplit merveilleusement cet office. Nettement désavoué dès l’origine par le parti modéré, ne voilà-t-il pas qu’il a aujourd’hui à subir les rigueurs du parti progressiste, dont il ne satisfait pas tous les vœux ? Hésitant entre le parti modéré, qui demande la convocation des cortès, et le parti progressiste, qui demande leur dissolution, il se borne à ajourner, à louvoyer. S’il réunit, en effet, les chambres en ce moment, il n’est pas douteux qu’il ne soit immédiatement renversé par une forte majorité conservatrice ; s’il les dissout, les progressistes tenteront, et non sans succès peut-être, de passer par la brèche qui leur a été ouverte. On voit sur quelles bases repose la fortune ministérielle de M. Salamanca, si on la juge au point de vue des probabilités constitutionnelles ; mais, au fond, ce n’est point de cela que s’inquiète l’illustre banquier : il puise sa force ailleurs ; il la trouve dans ceux qui l’ont fait ministre. M. Bulwer est là pour l’appuyer de son influence jusqu’au moment où la situation sera assez critique pour que de plus fidèles amis de l’ambassadeur anglais viennent tenter de mener à fin l’œuvre qu’il prépare, la dissolution du mariage de la reine Isabelle et un changement dans la loi de succession. Jamais ministre, il faut le dire, ne fut mieux secondé par son agent que lord Palmerston par M. Bulwer. L’ambassadeur anglais est partout à Madrid ; on le voit aller d’un ministère à l’autre, multiplier ses visites et ses correspondances. Il pousse la complaisance jusqu’à dénoncer à la police espagnole des complots qui n’existent pas et à les attribuer à un parti honorable qui a le malheur de n’avoir point voulu servir ses vues. M. Bulwer continue enfin le rôle qu’il a pris depuis que la question du palais est venue jeter une si malheureuse incertitude dans les affaires de la Péninsule ; il s’est fait le protecteur du plus grand désordre politique qui puisse affliger un pays, parce que c’est par le désordre seul que l’influence anglaise peut arriver à ses fins au-delà des Pyrénées. Seulement, ce que l’ambassadeur anglais faisait d’une manière souterraine il y a quelques mois, il le fait aujourd’hui publiquement. Les beaux jours où Espartero allait prendre ses conseils à l’hôtel