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torieux, venir spontanément, sans armes, au-devant d’un prince, et déposer à ses pieds un hommage volontaire ? Les Arabes ont tort, c’est possible, mais ils sont ainsi, et une bonne politique doit tenir compte de leur caractère et de leurs idées.

Un prince était donc ce qu’il y avait de mieux au triple point de vue de l’armée, de la société civile et des Arabes. Ceci posé, quel était celui de nos princes qui se présentait naturellement ? M. le duc d’Aumale était sans comparaison celui qui connaissait le mieux l’Afrique et qui en était le plus connu. Il avait commandé quelque temps avec succès la subdivision de Medeah et la province de Constantine ; il avait eu le bonheur insigne d’obtenir sur Abd-el-Kader le plus grand avantage qui eût encore été obtenu, et de le serrer de plus près que personne. De plus, il aimait l’Afrique passionnément, il briguait avec ardeur l’honneur de lui dévouer sa vie ; il s’offrait de lui-même à compromettre son rang, sa jeunesse, son avenir, dans cette œuvre vraiment formidable qui se présente encore aux plus hardis que comme un problème obscur et gigantesque. Le gouvernement pouvait-il, devait-il résister, et n’était-ce pas une véritable bonne fortune pour le pays que cette généreuse ambition ? M. le duc d’Aumale est jeune, dit-on, il est inexpérimenté ; mais ne voit-on pas qu’il sera mieux entouré, mieux conseillé que personne ? Ne sait-on pas que, dans ces situations élevées, l’expérience vient vite, parce qu’on a des moyens d’instruction que d’autres n’ont pas ? Et ce prince lui-même n’a-t-il pas prouvé plusieurs fois qu’il avait su profiter de tout ce qu’il avait vu ?

M. le duc d’Aumale prend au sérieux sa position ; il est déjà parti pour Alger ; Mme la duchesse d’Aumale ira le rejoindre avec ses enfans, dès que sa santé le lui permettra. Les jeunes époux auront à Alger un établissement complet et se proposent d’y mener un train presque royal. On dit que l’intention du prince est de dépenser tous les ans, en Afrique, huit cent mille francs pour sa maison. Voilà encore un de ces avantages qu’un prince seul pouvait avoir. Dans une capitale naissante comme Alger, ce n’est pas un petit intérêt. Quel est le personnage qui aurait fourni une si magnifique liste civile aux industries de tout genre que fait vivre le luxe d’une grande ville ? Aussi n’est-ce pas Alger qui se plaint ; Alger attend avec impatience M. le duc d’Aumale, et nous apprendrons bientôt qu’il y a été reçu aux acclamations de la population tout entière. Pendant qu’on blâme et qu’on critique ici, là-bas on applaudit et on espère. Nous craignons plutôt, nous l’avouerons, l’excès de la joie en Afrique que tout autre sentiment. Le plus grand écueil de M. le duc d’Aumale, c’est l’ardeur illimitée des espérances que sa nomination aura fait naître. Si heureux et si habile qu’il soit, il ne lui sera pas facile de réaliser tout ce qu’on attend de lui.

Ce n’est pas d’hier que la présidence du conseil n’était plus entre les mains de M. le maréchal Soult qu’une distinction purement honorifique. Quand le cabinet du 29 octobre se forma, il n’avait pas été sans habileté de lui donner pour chef M. le duc de Dalmatie, qui se trouvait représenter ce qu’on appelait alors la paix armée. Tant que les graves difficultés soulevées par le traité du 15 juillet 1840 furent sur le premier plan, la présidence de M. le duc de Dalmatie eut une signification qu’on vit s’affaiblir peu à peu, à mesure que d’autres questions surgissaient. Plus le ministère du 29 octobre s’éloignait de son point de départ, moins la présence de M. le maréchal Soult devenait nécessaire, jus-