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aussi un hommage à l’égalité, car M. le duc d’Aumale a accepté le simple titre de gouverneur-général avec les exigences d’obéissance et de responsabilité que ce titre entraîne avec lui, de sorte qu’en même temps que ce principe d’égalité reçoit une atteinte dans un certain sens, il reçoit aussi une consécration bien autrement importante. Désormais un principe est acquis à la société nouvelle ; ce principe, c’est celui de la responsabilité des princes, dans quelque situation qu’ils soient placés. En voyant se multiplier les rejetons mâles de la famille royale, on pouvait se demander avec inquiétude ce que deviendraient un jour dans l’état tous ces princes, et s’ils demeureraient placés au milieu des citoyens dans une condition exceptionnelle. On sait maintenant qu’il n’en sera rien, et que, s’ils sont employés par l’état, ils rentreront dans la catégorie des simples fonctionnaires. C’est bien quelque chose, ce nous semble, que cette certitude.

Il y a d’ailleurs un autre point de vue qui se rattache à la question générale d’égalité. Les princes sont, par le fait de la naissance, dans une situation telle que, si on ne permet pas à leur égard une exception à l’égalité absolue, le privilège est retourné contre eux, et l’égalité est encore blessée dans leur personne, non plus par la faveur, mais par l’exclusion. Eux seuls, dans un pays où tous les citoyens sont admissibles à tous les emplois, ne seraient admissibles à aucun. Ce serait là, certes, une inégalité, et la plus choquante de toutes. Si un prince avait, dans une situation donnée, des qualités spéciales parfaitement appropriées au besoin des circonstances, il ne pourrait pas rendre à son pays des services dont lui seul serait capable ! Une telle conséquence ne saurait être admise, même par les plus fougueux partisans de l’égalité. Reconnaissons donc qu’il est des cas où l’application absolue d’un principe nuit à ce principe lui-même, ce que l’antiquité latine avait parfaitement compris et exprimé par cet axiome de droit Summum jus, summa injuria. Admettons en même temps que la puissance des principes la puissance des faits, et sachons avouer que le culte de l’égalité doit être, comme tous les cultes de ce monde, professé avec modération pour ne pas dégénérer en fanatisme.

Pour que ce principe d’égalité ait été respecté dans ce qu’il a de raisonnable et de pratique, il faut que le choix de M. le duc d’Aumale ait été le meilleur qu’il fût possible de faire pour l’Afrique. S’il y a quelque autre candidat naturellement désigné par ses services à qui M. le duc d’Aumale ait fait tort, s’il y a quelque part un homme entre les mains de qui l’Algérie eût prospéré à coup sûr, le gouvernement a mal fait ; mais où est cet homme ? Dès l’instant que M. le maréchal Bugeaud se retirait, à qui revenait de droit sa succession ? Trois noms ont été prononcés, trois noms qui résument en effet presque toute l’histoire de l’Afrique, ceux des généraux Lamoricière, Bedeau et Changarnier. Lequel des trois fallait-il choisir ? Quel que fût celui des trois qui eût été désigné, il fallait se priver des services des deux autres, car aucun ne s’élevait assez au-dessus de ses rivaux pour justifier à leurs yeux cette distinction. Par suite de la position particulière du prince, les trois généraux dont il s’agit restent tous les trois sous ses ordres. Au lieu d’en perdre deux pour en garder un, l’Afrique les garde tous les trois. Il y a plus, elle en regagne deux, car le général Changarnier, n’ayant pu s’entendre avec le maréchal Bugeaud, avait déjà quitté la colonie, et M. le général Lamoricière, engagé dans une lutte personnelle et directe avec le maréchal, paraissait également dans l’impossibilité de retourner à son