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successives du taux de l’escompte de la banque. En tout pays, augmenter le prix du capital, c’est porter de rudes coups à l’industrie et au commerce ; s’ils se multipliaient, ces coups seraient mortels pour une industrie montée sur le pied de l’industrie britannique et ne pouvant assurer que par le bon marché l’écoulement de ses produits au dehors. Les manufacturiers anglais jouissent de l’avantage d’avoir à bas prix deux agens essentiels du travail, le fer et la houille, qui jouent aussi un rôle de plus en plus important dans l’économie des moyens de transport ; en outre, le capital est communément bien moins cher dans leur pays que dans les autres états européens. L’industrie anglaise a besoin de toutes ces circonstances réunies pour racheter certains désavantages, tels que celui d’une main-d’œuvre généralement plus coûteuse. La considération d’un capital à bon marché entre dans les calculs de ses frais généraux, et agit naturellement sur les conditions de la vente. Parmi les causes qui amenèrent, de 1793 à 1815, une si forte augmentation dans la valeur des produits manufacturés, figure précisément le prix énorme du capital en présence d’une guerre qui absorbait dans les emprunts la majeure partie des épargnes individuelles. L’abaissement du taux de l’intérêt qui suivit le retour de la paix générale contribua beaucoup au contraire à la dépréciation de toutes les marchandises. Durant la crise dernière, la valeur du capital a haussé dans des proportions effrayantes. Si le taux de l’escompte de la banque a doublé, le taux de l’intérêt pour les emprunts ordinaires a au moins quadruplé. En 1846, quand la banque escomptait les effets de commerce à 3 et 3 et demi, on pouvait emprunter de l’argent à 2 et demi et 3 pour 100. Embarrassés de leurs fonds, les capitalistes avaient de la peine à les faire fructifier. Depuis huit à neuf mois, les prêts se sont opérés, avec garantie, à 6, 8, 10 et même 12 et 15 pour 100. Conçoit-on le trouble d’une industrie subitement forcée de payer quatre et cinq fois plus cher le capital qui l’alimente ? Encore, à ce taux excessif, n’obtenait-on pas toujours les moyens de satisfaire à ses besoins. Il deviendra plus facile de mesurer l’étendue du préjudice causé aux intérêts industriels quand on saura que le capital engagé dans les fabriques des trois royaumes est évalué à 250 millions sterling (600 milliards 250 millions de francs), et, que le quart au moins de cette somme est fourni par l’emprunt.

Que ce resserrement si considérable dût ralentir le travail manufacturier et imposer au commerce les entraves les plus étroites, la conséquence était facile à prévoir. De larges commandes n’ont pu être exécutées par les premiers ateliers de la Grande-Bretagne ; des opérations commerciales importantes, plusieurs même relatives à des achats de subsistances, se sont vues arrêtées par l’état fâcheux de la circulation. Si on excepte les denrées alimentaires, tous les produits ont éprouvé une dépréciation de 10 à 20 pour 100. L’or, qui, comme on sait, est le seul des métaux précieux ayant une valeur monétaire légale chez nos voisins[1], était si recherché, que la banque tenta inutilement de convertir en or 1,500,000 livres sterling de lingots d’argent reposant dans ses coffres, et ne voulut acheter de l’argent à aucun prix. Le trésor public n’a pas été à l’abri du

  1. L’Angleterre et le Portugal, le plus riche et le plus pauvre peut-être des pays de l’Europe, sont les deux seuls états de notre continent qui n’admettent pas l’argent dans leur système de monnaie légale.