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1783, 1793, 1815, la conséquence d’une guerre commencée ou à peine finie : ils naissaient du mouvement déréglé de l’industrie, de l’entraînement vers les entreprises les plus folles qui s’était emparé de la nation. Il n’y avait pas d’épargnes que n’eussent alléchées les promesses de prospectus séduisans. Les capitaux péniblement amassés par les petits rentiers, les petits marchands, les domestiques, qui se montrent d’ordinaire si méticuleux quand il s’agit d’un placement normal, sont toujours les plus prompts à se jeter dans des opérations aventureuses. Plus ils ont mis de temps à se former, et plus vite ils voudraient se grossir. Dans les années 1823, 1824, 1825, des compagnies industrielles semblaient chaque matin sortir du sol comme par enchantement, et réalisaient sans peine d’énormes fonds sociaux. On ne comptait, avant 1823, que cent cinquante-six de ces grandes associations ; mais, dans cette seule année, il, s’en forma cinq cent trente-deux, au capital de 441,649,000 livres sterling (plus de 11 milliards de francs). Un jeu effréné et une production exorbitante, tels furent les deux principaux effets de ces égaremens déplorables, que les facilités accordées par la banque d’Angleterre avaient eu le tort d’encourager, et que devaient suivre les plus cruelles déceptions. La banque découvrit la première le nuage lointain d’où la tempête allait s’échapper. Aussitôt qu’elle s’aperçut que les changes étrangers prenaient une tournure défavorable et que le numéraire était appelé au dehors, effrayée tout à coup de se voir replacée au bord de l’abîme, elle voulut restreindre sa circulation et vendit des bills de l’échiquier pour retirer ses notes. Jetés ainsi en masse sur le marché, les bills, qui jouissaient habituellement d’une prime, subirent une dépréciation inattendue. Le resserrement de la circulation, succédant à la facilité de la veille, répandit partout l’inquiétude et la gêne. Les créanciers demandèrent à être payés en or ; tous ceux qui avaient de l’argent entre les mains des banquiers se précipitèrent pour retirer leurs dépôts. La panique contraignit plus de cent banques de province à suspendre leurs paiemens, entraîna de nombreuses faillites, fit tomber le 3 pour 100 de 82 à 65, vida le trésor de la banque d’Angleterre, et porta l’intérêt de quelques prêts temporaires au chiffre incroyable de 50 pour 100 par année. Après une conférence à laquelle le premier ministre, lord Liverpool, avait convoqué M. Huskisson, alors président du bureau du commerce, le gouverneur de la banque et M. Baring, il fut décidé que la banque, dont le crédit était solide, abandonnant les mesures restrictives, chercherait son salut dans de nouvelles émissions de papier. Eh bien ! ce moyen, qui aurait paru, aux yeux des partisans de l’isolement, devoir entraîner au dehors tout l’or du royaume, préserva seul la cour des directeurs de la déplorable nécessité de suspendre les paiemens en espèces en pleine paix et deux ans après les avoir repris[1]. Il ne faut pas en faire trop d’honneur aux financiers de l’époque : si l’on excepte peut-être M. Huskisson, ils ne cherchaient qu’un expédient et ne songeaient nullement à assurer le triomphe d’un principe ; mais, à leur insu, le principe poursuivait son chemin à travers une expérience éclatante.

Depuis 1825, la circulation a subi plusieurs secousses, moins rudes, il est vrai, et cependant très pénibles. Ainsi, en 1829, l’extinction des billets des banques de province de une ou deux livres sterling causa un trouble dont l’intérêt foncier

  1. Les émissions nouvelles du papier de la banque portèrent temporairement la circulation de 19,768,000 livres sterling à 24,479,000 livres.