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en matière de circulation. Placé au milieu de circonstances différentes, éclairé par une expérience plus longue du régime des émissions illimitées du papier, sir Robert Peel, en développant le principe du free trade, a, au contraire, assujetti la circulation aux règles les plus rigides, si rigides même, que le but a été dépassé, et que l’isolement est devenu la loi fatale de la banque d’Angleterre.

Le temps et les réformes de Pitt avaient effacé les embarras produits par la secousse de 1783, lorsque survint, dix ans plus tard, la crise bien plus terrible qui suivit la déclaration de la guerre entre l’Angleterre et la France. On sait quelle panique s’empara du commerce ; on sait quels furent alors les désastres des banques, le nombre des faillites, la rapide dépréciation des fonds publics[1]. Partout on pressentait que la guerre de 1793 ne serait pas une guerre comme les autres, provoquées par la jalousie d’une influence rivale ou le désir d’un agrandissement de territoire, mais une guerre implacable entre deux principes profondément hostiles. Devant les catastrophes du crédit anglais, on croyait déjà en France, et on crut bien davantage en 1797, que l’Angleterre allait s’engloutir dans le gouffre de la banqueroute. Un Irlandais, devenu membre de la convention nationale après avoir pris part à la révolution d’Amérique et s’être élevé au poste de secrétaire du congrès des États-Unis, le citoyen Payne, se fit l’organe de cette pensée dans une brochure sur la décadence du système financier de l’Angleterre. Cet écrit obtint un succès prodigieux, mais un succès éphémère comme les illusions qu’il flattait.

Il serait puéril de vouloir soumettre à une analyse rigoureuse la crise qui s’étend, pour ainsi dire, de 1793 à 1815. Tout parait anormal dans la situation comme dans les moyens employés pour suffire à des exigences inexorables. Si on avait alors restreint la circulation, on aurait paralysé à la fois la politique, l’industrie et le commerce du pays ; si on avait laissé subsister l’obligation légale pour la banque d’Angleterre du remboursement de ses billets en or, on aurait vu la prompte faillite de cet établissement. La banque et le crédit furent sauvés par un coup d’énergie vraiment révolutionnaire. Personne n’ignore le rôle de ces bank-notes devenues inconvertibles en espèces, dont les émissions furent énormes[2], véritable papier-monnaie, malgré les efforts de Pitt pour lui imprimer un autre caractère. S’il y eut une différence fâcheuse entre l’or et le papier, les billets ne perdirent point faveur, la banque continua de donner de gros dividendes à ses actionnaires, et, au milieu de l’augmentation des impôts, qui quadruplèrent de 1790 à 1812, de l’accroissement de la taxe des pauvres, qui montait avec une égale rapidité, du progrès de la dette publique grossissant d’année en année

  1. Soixante et onze banques suspendirent leurs paiemens ; sur ce nombre vingt-six tombèrent en faillite. Il y eut mille huit cent deux faillites en 1793, tandis que dans les quatre années précédentes ce nombres avait flotté entre cinq et six cents ; et ( ?) pour 100 tomba en huit ou dix mois de 92 à 62.
  2. A la fin de la guerre, en 1815, le papier de la banque d’Angleterre montait à 38,000,963 livres sterling (près d’un milliard de francs) ; le papier des banques de province, dont le nombre s’était élevé pendant la guerre de 200 à 1,000, a été évalué par M. Loyd, si compétent dans ces matières et dont l’autorité a tant de poids en Angleterre, à 40 ou 50 millions sterling (1,250 millions). Ainsi la circulation dépassait 2 milliards de francs.