Page:Revue des Deux Mondes - 1847 - tome 20.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du pur amour des lettres elles-mêmes ; et, quelques années après il payait à M. Le Clerc sa dette classique, en traduisant pour la grande édition de l’Orateur romain le traité De Legibus. Une préface, non-seulement érudite, mais philosophique, d’un ordre élevé, y met en lumière les divers systèmes des anciens sur le principe du droit, et témoigne d’un esprit devenu maître en ces questions, et qui s’entend avec Chrysippe comme avec Kant.

Dès le collége une vocation chez lui s’était déclarée très vive. Il faisait des vers, surtout des chansons. J’en ai parcouru tout un recueil manuscrit, duquel je ne me crois permis de rien détacher. Les premières remontent à 1812. Le jour qu’il a quinze ans, le jour qu’il en a dix-sept, il chante, il jette au vent son gai refrain à travers les grilles du lycée, dans les courts intervalles du tambour. Il parcourt sa vie passée et note déjà ce qu’il appelle ses âges. Sa jeune veine a, pour tous les événemens qui l’émeuvent, des couplets très naturels et très aimables. Quelquefois c’est une épître à la Gresset qu’il adresse à sa mère du fond de sa pédantesque guérite ; il- vient de lire la Chartreuse. Quelquefois c’est une romance plaintive qui s’échappe, ou bien quelque élégie inspirée par le sentiment, et qui me rappelle sans trop d’infériorité la belle pièce de Parny sur l’absence. Mais la forme habituelle et facile pour lui, celle à laquelle il revient de préférence et qui se présente d’elle-même, c’est la chanson. Plus tard, dans un article sur Béranger, il nous en a donné la théorie d’après nature. Dans cette page charmante, il n’a eu qu’à se ressouvenir et à nous raconter son propre secret


« Mais qui mieux que l’auteur lui-même, nous dit-il, ressent cette harmonie mutuelle du langage et du chant ? Demandez-lui compte de son travail, à peine saura-t-il vous en faire le récit. Un jour, pourra-t-il vous dire, il se trouvait dans une disposition vague de rêverie et d’émotion, il éprouvait le besoin d’adoucir un chagrin ou de fixer un plaisir. Des sensations à peine commencées se pressaient en lui, des images informes et riantes passaient devant ses yeux. Peu à peu il s’anime davantage ; une image plus précise se retrace à lui, et il veut la saisir et la chanter. Ou bien c’est un sentiment qui se prononce et qui bientôt demande et inspire une expression poétique et musicale ; peut-être un air connu, dans un secret accord avec sa disposition présente, vient comme par hasard errer sur ses lèvres et lui dicte un refrain qui semble traduire la note par la parole ; parfois enfin quelques mots fortuitement rassemblés, qui représentent une image, qui forment un vers, lui viennent à l’esprit, et bientôt rappellent un air qui les relève et les anime. Alors la chanson commence ; on l’écrit presque sans la juger, avec peine ou facilité, mais toujours avec une sorte d’émotion, une certaine accélération dans le mouvement du sang, qui, tant qu’elle dure, fait l’illusion du talent et ressemble à la verve. Sûrement ici l’art et le bon sens, recommandés par Boileau même en chanson, jouent leur rôle, et surtout à présent que le style de ce petit poème doit être si travaillé et la composition si remplie.