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symbole politique, et, tant que la gauche ne passera pas d’une critique toute négative à une œuvre précise et déterminée, elle continuera de marcher dans le vide et de trouver dans l’éloquence de l’honorable M. Barrot la plus complète expression d’elle-même. C’est ce que les banquets ont fort bien montré au pays : la plupart de ces réunions ont été, ou sans effet, ou d’un effet dangereux ; aucune ou presque aucune n’a fait faire un pas aux questions qui alimentent aujourd’hui la polémique de l’opposition régulière. Il faudrait plaindre la France s’il n’y avait pas de moyen plus efficace d’y réveiller l’esprit public. Les banquets sont une importation étrangère qui n’entrera pas plus dans nos mœurs que les courses au clocher. Les maladroites imitations des prodigalités d’Epsom peuvent bien amener la ruine de quelques jeunes gens et contribuer à introduire dans les salons des habitudes d’écurie, il peut se faire également que quelques orateurs contractent, à force d’exercice, l’art encore inconnu en France de parler inter pocula, et il n’y a rien d’étonnant qu’on se complaise, dans quelques sous-préfectures, à faire de la politique à table, au lieu d’en faire, selon la coutume, au café ou à la tabagie ; mais ce bruit effraie beaucoup plus de gens qu’il n’en attire : en faisant peur, on ne prend pas, nous le croyons, le meilleur -moyen de grossir les rangs de son armée. La discussion de l’adresse ne va pas tarder à mettre ceci hors de toute contestation. Le plan de campagne qu’on propose à la gauche, et qu’elle incline, dit-on, à accepter, laisserait croire qu’elle a déjà conscience des embarras qu’elle s’est créés. On l’invite à écarter le nom de son chef du scrutin de la présidence pour porter ses suffrages sur M. Dufaure ou M. Dupin. Nous doutons que M. Barrot consente à pousser à ce point l’héroïsme de l’abnégation : courez donc la France pendant trois mois pour répéter le même discours ; allez de poste en poste et de contradiction en contradiction ; exposez-vous aux traits d’esprit et aux spirituels calembours que vous savez, pour voir, à la suite de tout cela, porter au fauteuil M. Dufaure, qui a refusé de s’asseoir aux dîners patriotiques, et qui les a qualifiés si sévèrement ! Quant à M. Dupin, nous croyons savoir que sa verve railleuse n’épargne ni les convives, ni les cuisiniers, et s’il faut juger de ses dispositions par son attitude actuelle, ce qui est peut-être chanceux, on peut hardiment affirmer qu’il déclinera l’honneur d’une concurrence dont le succès ne serait pas d’ailleurs possible. La réélection de M. Sauzet est assurée à une majorité considérable, et la quatrième vice présidence paraît réservée, par le parti conservateur, à M. le maréchal Bugeaud. C’est un choix qui lève toutes les difficultés, et l’on sait qu’il y en a plus dans les questions de personnes que dans les questions de choses.

Pendant que nous attendons l’ouverture de notre parlement, l’Espagne assiste aux premiers débats du sien. Si fort habitué qu’on soit à voir la politique de ce pays se compliquer de mille incidens inattendus, s’embarrasser de passions personnelles et dégénérer en mouvemens d’une inexplicable confusion, il est curieux d’observer ce que peut avoir d’influence heureuse, là comme ailleurs, le retour de l’ordre dans les hautes régions du pouvoir, une situation nette et simple, un sentiment élevé et clair des difficultés du moment de la part des hommes qui sont appelés à cette tâche épineuse de gouverner une nation. Qu’on le sache bien : toutes les fois que l’Espagne sentira à sa tête un pouvoir fort, juste et modéré, elle y verra la réalisation de la moitié de ses voeux, et elle attendra sans inquiétude les effets naturels qui en devront découler. C’est là le