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ses votes écrits, enregistrés, comptés dans le royaume, décident si la loi sera obéie ; s’il la refuse, elle tombe. Au monarque appartiennent toutes les questions de personnes, où le peuple ne doit jamais intervenir, peu propre qu’il est à en connaître ; au roi le pouvoir de donner toutes les charges, hormis celles de la justice, qui sortiront de l’élection comme une garantie nécessaire au peuple. Pour se préserver du despotisme royal, le peuple aura la liberté de la presse, l’instruction, le droit même de citer devant les tribunaux tous les hauts fonctionnaires. Pour échapper aux embarras de l’hérédité et à ceux de l’élection, le roi nommera lui-même son successeur hors de sa famille. Grace à ce mécanisme que M. Bernal expose avec une certaine habileté, grace à cette séparation nette de pouvoirs qui ne font que se gêner dans leur marche et se quereller air lieu d’agir, le monarque pourra procéder aux grandes réformes sociales avec une autorité que rien n’entravera et qui aura tout intérêt à s’appuyer sur une immense popularité.

Nous n’avons analysé cette utopie que parce qu’elle donne une idée assez tranchée de la situation de certains esprits. Nos conquêtes politiques ne leur inspirent qu’une pitié profonde, et, au lieu de nos assemblées délibératives trop lentes à leur gré, ils ne demandent, pour accomplir toutes les réformes populaires, qu’un bon tyran, un honnête despote, sorte de Napoléon pacifique qui impose silence aux bavards et travaille seul, armé de son génie, à étendre, à organiser les conquêtes de l’industrie, à jeter le monde d’un seul bloc dans un moule social nouveau ! Il est impossible de voir autre chose dans la Monarchie démocratique de M. Bernal. Comment un esprit tellement en garde contre les théories d’équilibre ne voit-il pas que l’équilibre qu’il cherche à établir à l’aide d’un ingénieux subterfuge entre son roi et la nation est le plus chimérique et le plus faux de tous les équilibres ? Politiquement, son système n’est qu’un despotisme tempéré par l’appel au peuple et par le droit d’insurrection, et, avec des apparences de nouveauté, il rappelle tantôt ces champs de mars et de mai où les rois mérovingiens consultaient aussi la nation assemblée, tantôt cette période orageuse de notre révolution, où le peuple en armes venait réclamer par la violence contre les décrets de l’autorité royale. Au bout de sa combinaison artificielle se rencontrent l’absolutisme pur et simple, ce vieil absolutisme que l’auteur combat avec tant d’acharnement, et la pure démocratie avec ses formes républicaines si maltraitées par M. Bernal. L’emportera celui des deux qui sera le plus habile ou le plus fort. Quelle alliance de l’ordre et de la liberté, quel remède efficace aux abus du régime constitutionnel qu’une combinaison dont l’existence est à la merci d’un coup de main ou d’un coup d’état !

Pendant que M. Henri Martin invoquait le génie de la France contre le présent état de choses, pendant que l’auteur de la Monarchie démocratique appelait le despotisme politique au secours de l’utopie sociale, pendant qu’un autre écrivain, M. Auguste Barbet, dans un livre plein de sérieuses recherches et intitulé : Du peuple depuis Moïse jusqu’à Louis-Philippe, réclamait avec énergie l’intervention de l’état en matière d’industrie et d’organisation sociale, pendant que tous trois, animés de sentimens sincèrement démocratiques, se montraient ou décidément hostiles, ou au moins très sévères pour le gouvernement constitutionnel, responsable, à les en croire, de tous les maux du peuple et de toutes les difficultés de la situation, un autre écrivain, parti d’un point opposé de l’horizon,