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convenances de sa position, elle a su se concilier le dévouement de cette élite libérale dont la science honore les rangs supérieurs de la bourgeoisie berlinoise. Elle n’a pas craint, par exemple, d’accepter la dédicace d’un livre de M. de Raumer à l’instant où M. de Raumer était aux plus fâcheux de sa récente disgrâce. Il est vrai que le premier devoir des héritiers présomptifs dans les monarchies absolues est toujours d’agacer, pour ainsi dire, la popularité : c’est un rôle obligé dont on se tire avec plus ou moins de bon air. Le prince de Prusse lui-même n’est pas fâché qu’on sache bien qu’il lui serait impossible de prendre le moindre goût aux simagrées des piétistes ; il laisse avec quelque intention le roi son frère s’en édifier tout seul. Pour la princesse, elle est en coquetterie continuelle avec l’opinion, et, durant la dernière diète, elle a déployé, du meilleur cœur du monde, la plus merveilleuse industrie. Ce n’est point notamment sa faute si la députation polonaise n’a pas mis bas les armes. Il fallait beaucoup d’adresse pour risquer tant de frais, et beaucoup de sincérité pour se faire pardonner tant d’adresse ; il y a eu tout ensemble assez de l’une et de l’autre pour faire croire aux deux : une reine constitutionnelle n’eût pas mieux réussi.


III.

Sortons enfin de ces régions scabreuses d’où descend la pensée souveraine qui gouverne la monarchie prussienne, et, cette pensée maintenant mieux connue, passons en revue les instrumens destinés à servir au développement de ses œuvres.

La machine de l’état repose, en Prusse, sur quatre grands ressorts qui, venant tous se concentrer dans la même main, reçoivent tous une même impulsion et la suivraient également, s’ils n’avaient chacun aussi leur caractère et leur tendance à eux. L’église et l’armée, la bureaucratie et les universités, agens essentiels de l’autorité suprême, n’en sont pourtant pas une représentation sans mélange, parce que, tout en relevant d’elle, ils gardent de droit et pour leur compte à part une existence originale. Il y a là un phénomène politique inhérent à l’être même de la Prusse et très digne d’observation.

Cette absolue monarchie n’a pour exécuter ses desseins que des organes doués, par leur seule institution, d’une indépendance, d’une vitalité particulières. Elle est absolue, parce que l’action de ces organes officiels avait jusqu’ici presque partout effacé ou remplacé la libre action des citoyens, et cependant aucun de ces quatre corps posés comme des satellites aux quatre angles du trône ne s’identifie assez complètement avec la royauté pour vouloir jamais en porter les livrées. S’ils ne sont pas le pays, dont ils ont trop long-temps supprimé l’initiative, ils ne sont pas davantage le gouvernement lui-même, dont l’initiative