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suit la polémique hostile au gouvernement représentatif, sur ce point comme sur bien d’autres. Pour se faire une juste idée de l’uniformité des attaques dont il a été l’objet, il suffit de mettre en regard de la polémique contemporaine quelques-unes des principales critiques antérieures. Reproches et apologies, tout cela n’a guère changé. Sauf les noms propres et les dates, et sous la réserve de quelques modifications qui tiennent plus à la forme qu’au fond, souvent vous croiriez lire la brochure d’hier.

Destinée singulière et glorieuse ! Le gouvernement représentatif a été discuté, soutenu, nié bien avant qu’il fût question de le faire passer du domaine de la spéculation dans l’ordre des réalités sociales ; il a des apologistes et des détracteurs qui datent de deux mille ans. Entre le gouvernement direct des masses et le despotisme monarchique, dont la Grèce et l’Orient lui présentaient le double spectacle, le génie profond et réservé d’Aristote cherche sa voie, et, avec une netteté, une abondance de détails, un souci de la pratique, une entente du mécanisme politique, dont on reste étonné, il indique au législateur comme un idéal de modération et de force, de progrès et de stabilité, le gouvernement de la classe moyenne, l’élection confiée à la capacité et non au nombre, enfin le mélange harmonieux des trois pouvoirs. Toutefois ce qu’il faut remarquer ici, c’est que l’auteur de la Politique n’est si ferme et si explicite dans ses théories de juste-milieu que par opposition à l’utopie de la République, où Platon, moitié par exagération philosophique du principe de l’unité, moitié par réaction contre les abus du pouvoir populaire, incline visiblement à l’aristocratie, et attribue le gouvernement du monde aux lumières concentrées dans un petit nombre de mains. Malgré les concessions du livre des Lois, où Platon va jusqu’à proposer un mélange de monarchie, d’aristocratie et de démocratie, et semble ainsi se déclarer le partisan des gouvernemens équilibrés, au fond l’idéal politique de Platon est l’aristocratie, non telle qu’elle existait sous ses yeux, mais une aristocratie constituée par le droit divin de la science et de la vertu. Ses magistrats philosophes ressemblent fort à des prêtres, et le souvenir de l’Orient savant et immobile se mêle dans l’esprit du sublime penseur à la déduction abstraite qui lui fait tout tirer d’un certain idéal d’unité et de justice, qui n’est ni la vraie unité politique, ni la vraie justice sociale. Ce que disent les modernes fauteurs du despotisme allié aux idées socialistes, Platon le pressent, l’exprime avec la plus grande énergie. L’individualisme n’a pas d’ennemi plus déclaré ni de critique plus éloquent. Il le combat avec une sorte de passion, et revient sans cesse à la charge. On n’a rien dit de plus fort contre les vices de la démocratie, le manque de stabilité, la jalousie, l’esprit de nivellement. Il a des pages sur les révolutions, que l’on croirait écrites par De Maistre ; il en a d’autres qui, en attribuant à un pouvoir un et fort l’organisation de la société sur le plan de l’égalité et de la communauté, semblent prêter des armes à des théoriciens de nos jours plus nombreux et plus menaçans que les défenseurs de la théocratie et de la royauté absolue.

Sans faire remonter cependant aux deux illustres penseurs de la Grèce la lutte de ces deux grands principes, une démocratie moyenne et tempérée, un pouvoir absolu monarchique ou aristocratique qui gouverne les hommes du même droit que la tête commande aux instincts et aux appétits, nous trouvons dans les trois