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L’auteur représentait dans sa pièce le fameux personnage de Coccodrillo qu’il avait créé, et qui ne parlait qu’espagnol[1].

Nous avons des preuves également certaines de la présence des acteurs italiens à Paris en 1588. On lit dans une remontrance adressée au roi à l’occasion de l’ouverture des seconds états de Blois, parmi beaucoup d’autres griefs, que « les jeux des estrangers italiens sont un grand mal qu’on avait tort de tolérer. » Aussi un arrêt du 10 août de cette année renouvela-t-il la défense faite à tous comédiens, tant italiens que français, de donner aucune représentation ailleurs qu’en l’hôtel de Bourgogne. Le malheur des temps, plus que cette défense, força les acteurs italiens à repasser les monts. Pendant cette triste époque, en effet, il n’y avait plus de place en France pour les joyeux ébats d’Arlequin, de Pantalon, du docteur bolonais, de Francatrippe, de Francheschina, du capitano Spavento. Les seize et leurs adhérens donnaient à la France d’autres spectacles. Nous ne suivrons pas la troupe de Flaminio Scala dans toutes les visites qu’elle rendit, pendant ces années de troubles, aux principales villes d’Italie, Bologne, Venise, Rome et Milan. Le chef-lieu de la compagnie paraît avoir été à Florence. Nous l’y trouvons établie, notamment en 1594, comme nous l’apprend l’agréable récit que Domenico Bruni nous a fait de la manière dont il entra dans cette société, âgé à peine de quatorze ans. Fils d’un vieux comédien, errant et presque nu, il fut bien accueilli et engagé tout aussitôt pour réciter quelques prologues et jouer les amoureux dès qu’il aurait de la barbe au menton ; ce moment arriva bien vite et il s’acquitta fort galamment de l’emploi d’innamorato sous le nom de Fulvio. Appelé quelques années plus tard au service de Mme la princesse de Piémont, il fut remplacé par le jeune J.-B. Andreini, qui prit au théâtre le nom de Lelio. Cette belle troupe, toujours dirigée par Scala, fut rappelée à Paris par Henri IV après la paix de Savoie, vers l’époque de son mariage avec Marie de Médicis (1600). Cette fois, les Gelosi s’arrangèrent avec les comédiens de l’hôtel de Bourgogne, pour pouvoir jouer alternativement avec eux sur le théâtre de la rue Mauconseil. Alors la belle et sage Isabella, dans tout l’éclat de sa beauté et de son talent, honorée des plus illustres suffrages (de ceux du Tasse, de Chiabrera, de Marino, pour ne parler ni des cardinaux, ni des princes, ni des souverains), admise dans la célèbre académie des Intinti de Pavie, comme son mari dans celle des Spensierati de Florence, presque couronnée à Rome[2], Isabella, dis-je, était l’honneur, l’ame et comme

  1. Cette comédie a été traduite par le sieur L. C. (peut-être Larivey, Champenois), et mise en vente chez Abel l’Angelier, en 1599. (Catalogue de M. de Soleinne, n° 4422.)
  2. Un portrait couronné d’Isabella fut placé entre ceux de Plutarque et du Tasse dans une fête donnée à cette femme illustre par un de ses plus fervens admirateurs, le cardinal Aldobrandini.