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bonheur d’administrer sept races enchaînées ensemble par le jeu de la politique et du hasard.

À cette époque, qui fut comme la seconde naissance du magyarisme, le parti national et le parti libéral ne formaient qu’un seul et même parti dirigé et représenté, trait pour trait, par deux hommes déjà considérables, Étienne Széchényi et Nicolas Wéssélényi. Nobles et magnats, le premier en qualité de comte, le second en celle de baron, ils étaient issus l’un et l’autre de deux familles illustres qui avaient naguère occupé les plus hautes fonctions de l’état ; l’un et l’autre avaient été nourris dans le culte exclusif de la nationalité magyare et dans la haine de l’Allemagne. Dès le début de leur carrière, ils donnèrent au magyarisme des gages certains d’un dévouement absolu. Tous deux engagèrent leur immense fortune pour les besoins de la propagande, et saisirent eux-mêmes le rôle d’agitateurs dans les questions d’ordre matériel ou moral qui touchaient de près ou de loin aux intérêts du magyarisme[1]. Ils étaient liés alors d’une cordiale amitié, image fidèle de l’union des patriotes au commencement de l’œuvre nationale. Cependant, même au sein de cette concorde qui de part et d’autre était sincère, il était déjà facile de remarquer chez Széchényi un attachement profond au système de l’aristocratie parlementaire, une crainte non moins grande de voir tomber le sort du magyarisme aux mains de la petite noblesse, qui est en Hongrie l’élément populaire. Wéssélényi, au contraire, animé de sentimens plus hardis, ou, si l’on veut, plus téméraires, se complaisait à soulever autour du magyarisme, comme cortège, les passions des multitudes ignorantes, mais audacieuses. Széchényi essayait donc principalement de pousser la haute aristocratie, les magnats, dans les voies du progrès constitutionnel et des grandes entreprises économiques, tandis que Wéssélényi, déjà propriétaire et magnat en Hongrie et en Transylvanie, et par conséquent membre des diètes générales des deux pays, doublement citoyen, achetait des terres dans tous les comitats pour conquérir autant de droits nouveaux, et pouvoir au besoin assister et parler à chacune de ces assemblées populaires et tumultueuses qui se tiennent périodiquement dans chaque comitat. Ces penchans si divers, chez les deux hommes les plus éminens de la Hongrie, répondaient aux directions d’esprit qui se révélaient dès-lors au sein du pays, et qui contenaient le germe des fractionnemens de l’opinion en matière de réforme constitutionnelle ; mais, à l’époque où le magyarisme devint un système, les deux tendances si profondément distinctes se laissaient à peine deviner : la question de race occupait alors, avant tout autre intérêt, la pensée publique. Széchényi était extérieurement d’accord avec Wéssélényi, les magnats avec la petite noblesse ; tous, voulaient la substitution de la langue magyare au latin, dans les rapports privés, dans les corps politiques, dans l’administration, dans l’enseignement. Bien que les Magyares de la Transylvanie fussent séparés de ceux de la Hongrie par leur constitution, les uns et les autres marchaient du même pas vers le même but. Les salons de Clausenbourg imitaient ceux de Pesth, comme la diète de la principauté imitait celle du royaume, et les deux pays ne montraient qu’un regret c’était de ne pas former un seul et même corps, ainsi qu’ils formaient une seule

  1. On n’ignore point que Széchényi est le principal fondateur de la navigation du Danube.