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soutiennent un peu la cause personnelle de la petite propriété contre la grande en attaquant les seigneurs féodaux ; quelques-uns de ces puissans seigneurs terriens lui viennent apporter eux-mêmes l’autorité de leur nom et mettre à son service une partie de leurs revenus. Ces jeunes magnats et ces jeunes nobles s’habituent de bonne heure, dans les réunions de comitat, à parler aux masses assemblées devant des orateurs émérites, et, à l’époque des diètes générales, la plupart s’attachent en qualité de secrétaires à quelque chef de parti, à l’école duquel ils apprennent la tactique et le vrai langage parlementaire. Ceux qui ne sont point héritiers d’un siége à la chambre des magnats travaillent alors à se créer dans les comtés une clientelle qui les puisse un jour envoyer à la seconde chambre. C’est du sein de cette heureuse et brillante jeunesse que sortent à leur tour les leaders qui gouvernent l’opinion dans les deux chambres. Tous ne sont point également libéraux, on le comprend bien, mais tous à peu près sont éclairés, et les débats qu’ils engagent dans la diète de Presbourg ne manquent ni d’élévation ni d’intérêt.

Il est curieux de voir les nobles libéraux aux prises, dans cette grande assemblée de Presbourg, avec l’opiniâtre immobilité des derniers représentans de la société féodale, de suivre ces rudes combats dans lesquels la noblesse des villes, conservatrice ou progressiste, apporte une parole diserte, des connaissances politiques, les manières faciles d’orateurs expérimentés, tandis que la vieille noblesse, pénétrée d’un respect religieux pour ses privilèges qui lui semblent l’essence même de la patrie, daigne à peine laisser tomber de ses lèvres quelques sentences solennelles dont tout le mérite est de donner une couleur poétique à des préjugés vermoulus. On sent bien dans ce contraste deux idées, deux époques, en un mot deux civilisations entièrement différentes. Si, en effet, cette portion de la vieille noblesse qui se tient obstinément renfermée dans ses domaines féodaux est encore, par l’esprit et par les mœurs, immobile dans son caractère oriental, l’autre, par le travail et l’étude, s’ouvre chaque jour davantage à l’esprit et aux mœurs de l’Occident. Celle-ci, il est trop vrai, n’est pas non plus exempte de préjugés de race, elle a jusqu’à présent vécu des communes espérances d’avenir et de triomphe dont le magyarisme s’est bercé ; mais elle a du moins l’intelligence pour comprendre le sens des événemens, et l’amour du bien pour porter remède à ceux des maux du pays qui ne sont point encore incurables.


II.

Dans les châteaux comme dans les villes, j’avais pu saisir l’histoire politique des Magyares tantôt à travers le langage passionné des patriotes de Pesth, tantôt à travers les ardentes déclamations de leurs adversaires. Cette histoire mérite qu’on la raconte, en la dépouillant des exagérations locales. Que servirait de flatter les Magyares ? Bientôt peut-être viendront-ils eux-mêmes démentir quiconque partagerait aujourd’hui leurs illusions. Assez d’orateurs ou d’écrivains de leur pays, avides de popularité, essaieront encore de leur plaire en caressant de dangereuses erreurs. C’est leur être utile, n’en doutons point, que de leur parler avec franchise, en accordant d’ailleurs des éloges mérités à l’énergie dont ils ont donné des preuves et aux qualités généreuses par lesquelles ils sauront peut-être encore éviter l’abîme où les conduirait l’intolérance.