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s’asseoir, comme un puissant tribun, à quelque banquet populaire, que pour pâlir dans l’ombre, sur les problèmes éternels. Aussi les Rhénans l’avaient-ils tout de suite aimé, quand ils l’avaient vu se mêler parmi eux avec une joyeuse simplicité, prendre place à leurs festins, répondre couramment, harmonieusement à leurs toasts, et vider sans sourciller leurs rasades pétillantes. Il était bien alors le digne roi de ces braves gens, gens de plaisir et de belle humeur, toujours prêts à fêter la nature, qui leur a donné leur grand fleuve et leur bon vin.

Et puis, qui sait ? le lendemain même, au réveil de cette cordiale gaieté, Frédéric-Guillaume s’en va retomber dans les sentiers ardus de l’école, et se perdre par la réflexion dans ces sombres questions d’origines historiques où la science allemande s’est trop long-temps flattée de trouver la clé du présent. Il se dit avec M. de Savigny que notre âge n’est point propice à la fabrication des lois, et, se désolant d’être obligé d’en faire, il travaille d’autant à s’inspirer des souvenirs de cette ère d’innocence où les lois se faisaient toutes seules. La politique et la théologie se rencontrent sur ces hauteurs abstraites qu’il parcourt, non pas la politique et la théologie positives telles que les pratiquaient les fermes esprits d’autrefois, mais ces aventureuses spéculations des théoriciens d’outre-Rhin qui se sont crus naïvement obligés à reconstruire de toutes pièces le gouvernement de la terre et du ciel. On ne pénètre jamais bien avant dans ces régions de l’infini sans rapporter de si sublimes entretiens une tristesse vague et comme un éblouissement nerveux qui ne sied point aux têtes couronnées. Les hommes n’admettent pas que l’on soit encore à tâter et à chercher quand il s’agit sur l’heure de les conduire et qu’on en a la charge. Aussi, lorsque le roi Frédéric-Guillaume, descendant de son Sinaï, vient débiter à ses sujets quelque harangue solennelle qui l’émeut lui-même plus que n’est ému tout son auditoire, vainement son œil se mouille et se voile, vainement sa parole vibrante, son imagination enthousiaste, sollicitent et provoquent les sympathies ; les sympathies manquent. Il n’a pas fallu sept ans pour qu’une si savante et si poétique éloquence perdît la magie singulière avec laquelle elle s’annonçait. On a compris le sens intime de ces beaux discours ; le discours du couronnement, le discours de Cologne, ces œuvres épiques du royal orateur, n’ont point gagné du tout à la lecture. On sentait trop dans ce qu’il disait le souffle de l’abîme où il s’était enfoncé pour mieux suivre ses doctes maîtres, au lieu de se laisser porter comme un grand prince à la surface de son temps : c’était Épiménide échappé de la grotte où il avait dormi pendant que le monde changeait.

Il y avait pourtant dans ce cœur hardi des pensées qui étaient généreuses à leur date ; la date seulement était trop ancienne. Achever la vieille église du Rhin pour en faire le monument sacré d’une fraternité